Le cinéma d’animation ukrainien
VASSILENKO NINA (Василенко Нина Константиновна) 1906-1999
C’est la troisième réalisatrice de ce dossier. Nina Vassilenko semble accorder une part importante à l’histoire de son pays qu’elle relate. Que ce soit sous la forme de légendes ou bien de véritables moments historiques, les Ukrainiens et les Ukrainiennes trouvent sous son égide une fierté nationale. Mais toujours avec une animation hautement stylisée.
-A merry artist, 1963 (ВЕСЕЛЫЙ ХУДОЖНИК) – conte/enfance
Ce mignon dessin animé aux allures de coloriages d’un cahier d’écolier repose sur le thème de l’amitié. Les personnages naissent dans un cahier et sont capables de passer de l’un à l’autre. Un « gentil » garçon aide ainsi une petite fille (la demoiselle en détresse) en jouant avec elle. Un « méchant » garçon solitaire leur mène la vie dure. Grâce à leurs crayons respectifs, les deux « concurrents » créent les objets dont ils ont besoin et, inversement, sont capables de s’en servir afin de détruire les créations de l’autre. C’est ainsi qu’une sorte de duel se joue. Jusqu’à ce que le « méchant » comprenne que l’entraide c’est mieux. En gros, c’est sa solitude qui l’a rendu mauvais. Cela se défend, mais c’est peut-être un peu dogmatique. Mais allez, nous dirons que c’est pour encourager les enfants à aller les uns vers les autres.
–Marusia Boguslavka, 1966 (МАРУСЯ-БОГУСЛАВКА) – légende/artistique-folk ♥
À l’image de sa collègue Irina Gurvich, Nina s’est nourrie du folklore de son pays et de son art traditionnel. Marusia Boguslavka, avant d’être un film d’animation, est le nom d’une femme légendaire qui vécut en Ukraine au XVIe siècle ou XVIIe siècle. Elle est principalement connue par les ballades épiques ukrainiennes. Dans le film, Marusia est enlevée lors d’un raid perpétré par des Turcs. Elle et d’autres femmes finissent dans le harem d’un puissant sultan. Des Cosaques partis pour les délivrer vont subir un naufrage et se feront capturer par le monarque. Ce dernier décide d’épouser Marusia. Lors de la célébration du mariage, elle profite de l’ébriété de son mari pour libérer son peuple. Elle paiera cet acte héroïque de sa vie. Ce film renoue avec la plus belle technique du monde, le papier découpé. Souvenez-vous des merveilleux films de Caesar Orshansky ! Ici encore, l’animation est hyper stylisée. La narration passe parfois par des tableaux qu’on déroulerait tels des tapis persans. Le style se veut orientalisant en gardant toutefois une pointe de tradition populaire. Comme toujours, les costumes sont convaincants. Marusia Boguslavka est beau, riche, tragique et artistique.
–The adventures of cossack Eney, 1969 (ПРИКЛЮЧЕНИЯ КАЗАКА ЭНЕЯ) – épopée/parodie
Ce film reprend l’esprit des Cosaques de Vladimir Dakhno, mais va plus loin. Ici le brassage des cultures est total. C’est une relecture de l’Iliade et l’Odyssée d’Homère, mélangée à l’Énéide de Virgile mais avec des Cosaques. Le film est placé sous le signe de la parodie et de l’action. Comme dans l’Énéide, Eney est le fils de Vénus et Junon ne l’apprécie pas du tout, voire le hait. Le court-métrage s’ouvre sur les raisons de cette dispute : Junon aurait voulu faire « gouzy-gouzy » au jeune bambin et ce dernier lui aurait mordu les doigts. Comme souvent chez les dieux, ça plaisante pas. S’attirant les foudres de Junon, Eney choisit de descendre sur Terre sous l’apparence d’un Cosaque. Commence alors le récit proprement dit, les références aux deux œuvres antiques se mélangent. Nous avons des scènes célèbres issues des deux épopées, mais pas nécessairement dans l’ordre : le Cheval de Troie, Éole et Neptune, Circé, le voyage d’Enée aux Enfers (mais pas pour voir son père, pour jouer aux cartes avec la Mort qu’il désossera au passage), le mariage avec Didon… Mais toujours dans un esprit comique et parodique. On peut lire également des références aux Mille et Une Nuits avec le tapis volant, une référence à La Genèse avec Adam et Ève, on dirait que tout peut passer dans ce maëlstrom de cultures. Il faut bien avouer que cela se mélange bien. C’est réjouissant, bien animé, et ça dure quand même pas loin de 30 minutes. Au passage, Vladimir Dakhno a été animateur sur ce film.
–The legend about Igor’s Campaign, 1972 (СКАЗАНИЕ ПРО ИГОРЕВ ПОХОД) – épopée/artistique-folk ♥
Cette fois-ci, Nina n’adapte pas une légende, mais bien un fait réel. Ce dernier est rapporté dans l’épopée Le Dit de la Campagne d’Igor. Une œuvre d’importance capitale (sans blague), car il s’agit de la plus ancienne création littéraire des Slaves orientaux au XIIe siècle à l’époque de la Rus’ de Kiev. Or, le texte pose un sérieux problème car il est revendiqué autant par les Russes que par les Ukrainiens. Le fait de chercher la légitimité et l’ancienneté d’une nation en se désignant héritier d’une œuvre fondatrice n’est pas rare. Par exemple, la paternité de la nation russe est disputée, elle aussi, entre Kiev et Moscou. Pour la question historique, il faut rappeler que la plus ancienne entité politique commune aux trois nations slaves est la Rus’ de Kiev (IXe-XIIIe siècles). Kiev était puissante quand Moscou était à peine fondée. Cette question de paternité de la civilisation russe est une question délicate, tant elle est encore débattue aujourd’hui. Elle peut même être une des raisons subjacentes de la guerre actuelle. Pour en revenir à l’épopée dont il est question ici, la polémique sur son origine a donné lieu à une controverse idéologique violente en URSS dans les années 1960. Remettre en cause l’œuvre, c’est remettre en cause les fondements de la culture russe basée sur l’héroïsme et l’union nationale. Voilà pour la question historique. Mais de quoi s’agit-il ? Je ne m’étalerai pas sur le résumé, trop long, vous le trouverez sur internet. Sachez seulement que The legend about Igor Campaign relate l’expédition du prince de Novgorod-Siévierski, Igor, contre les Polovtsy (un peuple turcophone). Cette campagne se scellera sur la victoire d’Igor bien aidé par les puissances naturelles.
Le film en lui-même, soyons honnêtes, est dur à comprendre si vous ne connaissez pas bien cette histoire ou si vous ne comprenez pas la langue, d’autant qu’il dure 25 minutes. Par contre, c’est le film d’animation ukrainien le plus stylisé que j’ai pu voir. Il va très loin dans la représentation artistique de l’époque. L’iconographie religieuse, entre fresques et icônes, est appliquée avec virtuosité. Comme il s’agit de l’adaptation d’un texte fondateur, le style a été pensé pour coller à cette période et à l’esprit d’une épopée. C’est réellement à voir car c’est magnifique, on dirait presque une fresque animée.
–The boy with the briddle, 1974 (МАЛЬЧИК С УЗДЕЧКОЙ) – épopée/artistique-folk ♥
Ce film s’intéresse encore à l’histoire, mais sous la forme d’une épopée guerrière. Il relate le combat d’une ville assiégée par les Tatars lors des nombreuses campagnes de ces derniers entre le XVe et le XVIIIe siècles sur les terres ukrainiennes, russes, polonaises… La cité dont il est question ici est presque en déroute malgré la résistance héroïque des Ukrainiens dont les visages et les poses traduisent leur fierté patriotique. À l’inverse, les Tatars sont vraiment présentés comme des barbares, ils ont des figures peu flatteuses. C’est le seul film ukrainien que j’ai vu avec une tendance caricaturale de l’ennemi aussi poussée, faisant presque passer le film pour une œuvre de propagande guerrière. Les guerriers ukrainiens prennent vraiment la pose, tels des bogatyrs. On n’est pas loin de l’idéalisation. Quel pays n’aime pas exalter l’âme de son peuple face à l’envahisseur ? De la Russie à Hong Kong en passant par l’Ukraine, nombreuses sont les cultures à se mettre ainsi en valeur. À plusieurs siècles de distance, la représentation orgueilleuse des Ukrainiens n’a d’égale que celle esquissée par nos médias à l’heure actuelle. Vous voyez, la propagande ne changera jamais. Mais il faut dire que ça donne de l’empathie de voir ces farouches guerriers défendre leur ville avec autant d’acharnement. Qui plus est, la guerre est réaliste, les morts nombreux et l’ambiance crépusculaire. On insiste sur la violence du conflit, ainsi le ton vire au rouge, même la musique est puissante. Heureusement, un enfant parviendra à traverser le camp ennemi afin d’aller chercher de l’aide auprès de guerriers partis en expédition. Un enfant humilie à lui tout seul une armée. Les Tatars sont vraiment nuls. Tout est bien qui finit bien, dans le sang. Le film a vraiment de la gueule et un souffle épique. Comme toujours, l’esthétique est hautement stylisée. Par moments, les arrière-plans ont quelques touches d’impressionnisme.
Table des matières
1.Préambule
2.Le début du voyage
3.Cherkassky David (Черкасский Давид Янович), 1932-2018
4.Dakhno Vladimir (Дахно Владимир Авксентиевич), 1932-2006
5.Goncharov Vladimir (Гончаров Владимир Максимович), 1940-2022
6.Gurvich Irina (Гурвич Ирина Борисовна), 1911-1995
7.Kirik Anatoliy (Анато́лій Пили́пович Ки́рик) 1938-?
8.Kostyleva Valentina (Костылева Валентина Андреевна), 1946-?
9.Orshansky Caesar (Оршанский Цезарь Абрамович) 1927-2016
10.Pavlenko Tadeush (Павленко Тадеуш Андреевич) 1934-2004
11.Pruzhansky Ephrem (Пружанский Ефрем Аврамович) 1930-1995
12.Sivokon Yevgeny (Сивоконь Евгений Яковлевич) 1937-?
13.Vassilenko Nina (Василенко Нина Константиновна) 1906-1999
14.Viken Alexander (Викен Александр Владимирович) 1947-?
15.Zarubin Leonid (Зарубин Леонид Семенович) 1926-2003
16.Conclusion
2 commentaires
Monique Renault
Merci de mettre en avant ces films ..
Mamaragan
Merci à vous pour votre lecture 🙂
J’en mettrais bien plus en avant si j’avais davantage de temps ! Ou si on voulait m’embaucher un jour pour le faire, sait-on jamais ^^
Il y a beaucoup de films d’animation d’Europe de l’Est que j’aimerais présenter ici <3