
Alexandre Rou : le conteur du cinéma soviétique
Barbara la fée aux cheveux de soie (1969), Варвара-краса, длинная коса
Barbara la fée aux cheveux de soie (1969), l’avant-dernier film de Rou commence sur un concept : dans un royaume, un roi s’est mis en tête de recenser tout ce qu’il y a dans son pays en partant de la lettre z pour arriver jusqu’à a. Il ressemble en cela Au Royaume des miroirs déformants qui reflétait une réalité déformée. Toutefois, heureusement ou malheureusement, l’histoire va très vite évoluée vers un conte plus classique, laissant là cette idée pourtant prometteuse.
La suite du film s’avère plutôt classique dans son déroulement, ce qui est bienvenue après la complexité discutable du précédent.
Un jour, le tsar Eremeï se voit obliger de tenir une promesse faite à Choudo-Youdo (joué par Gueorgui Milliar) roi des profondeurs et des marais qui se la joue (au début) Freddy Krueger. Il doit lui promettre qu’il lui donnera ce qu’il ne connaît pas dans son royaume. Seulement, comme Eremeï vient de passer un an à tout cataloguer, il est persuadé que cet objet de son ignorance n’existe pas puisqu’il connait tout ! Seulement voilà, entre-temps, sa femme a donné naissance à un fils…



On reprend là un thème très présent dans les contes : celui de l’enfant-surprise. Thème qui sera beaucoup repris dans l’excellente saga du Sorceleur Geralt de Riv. Le tsar et son conseiller décident alors d’intervertir l’enfant royal avec celui d’un pêcheur. Dix-huit ans passent, Choudo-Youdo exige son dû…
La suite s’avère plutôt plaisante avec une gentille histoire d’amour entre le fils des pêcheurs et Barbara, la fille de Choudo-Youdo et quelques rebondissements que je ne vous conterai point. Sachez seulement que le père ne l’entendra pas de cette oreille et se lancera à la poursuite du couple. Barbara est une femme forte et intelligente, fière et magicienne, elle contraste avec les deux dernières héroïnes de Rou certes charmantes mais plus légères. Ici, Barbara éconduit les prétendants par des devinettes, des tours de magie, tient tête à son père…



Le film adapte Le conte du tsar Berendee de Vassili Joukovski que je ne connais pas. En revanche, il reprend plus ou moins la trame du conte Le Tsar de l’Onde et Vassilissa la très sage. Ce film mélange en fait les derniers films plus complexes de Rou comme Au Royaume des miroirs déformants et Feu, eau… et tuyaux de cuivre avec une trame cette fois plus simple, proche des contes russes, ce qui personnellement n’est pas pour me déplaire.
Néanmoins, Barbara la fée aux cheveux de soie réserve quelques surprises. Par exemple, l’évocation émouvante de l’amour passé de la gouvernante de Barbara. Cet amour, qui ne fut pas accepté par sa mère, se termina tragiquement lorsque son aimé mourut à la guerre d’un boulet de canon. Situation inattendue dans ce genre de film. La direction artistique est toujours inspirée et les décors spécifiquement pensés pour l’antre de Choudo-Youdo. Je n’ai pas souvent évoqué les maquillages dans les films de Rou, mais ils sont pourtant eux aussi remarquables, en particulier pour les personnages joués par Gueorgui Milliar.


Au final, un film agréable à suivre, sans complexité inutile. On s’éloigne de ces films à la lisière entre le conte et le surréalisme, en particulier quand les humains jouent des animaux ou y renvoient. Le conte en lui-même n’a pas cette subtilité ou ce sous-entendu, il est franc, clair, direct. Une nature toujours aussi bien filmée, un héros niais et bon, une princesse ravissante, et le tour est joué !
Concernant les acteurs principaux, il semblerait que ce soit le film principal de l’actrice Tatiana Klioueva (Barbara) alors écolière. Je ne connais pas les méthodes de recrutement des acteurs mais il semblerait que Rou embauchait de jeunes et très jolies filles pour jouer les princesses ou héroïnes de ses contes. Mais leurs carrières semblent parfois ne pas aller plus loin, en tous cas selon les données dont je dispose pour Tatiana Klioueva. De même pour l’acteur qui incarne Alekseï Katychev, il semble n’avoir tourné que deux films, en l’occurrence avec Rou. Vous l’aurez peut-être reconnu pour être l’acteur qui jouait déjà le héros de Feu, eau… et tuyaux de cuivre.



La fiche kinoglaz du film : https://www.kinoglaz.fr/index.php?page=fiche_film&lang=fr&num=116
Tables des matières
1.Introduction
2.Par le vœu du brochet (1938), По щучьему веленью
3.Vassilissa la Belle (1939), Василиса Прекрасная
4.Le Petit cheval bossu (1941), Конек – горбунок
5.Kachtcheï l’immortel (1944), Кащей Бессмертный
6.Une nuit de mai, ou une noyée (1952), Майская ночь, или утопленница
7.Le Mystère d’un lac de montagne (1954), Тайна горного озера
8.Un cadeau précieux (1956), Драгоценный подарок
9.Les Nouvelles aventures du Chat botté (1958), Новые похождения кота в сапогах
10.L’Habile Maria (1959), Марья-Искусница
11.Les Veillées dans un hameau près de Dikanka (1961), Вечера на хуторе близ Диканьки
12.Au Royaume des miroirs déformants (1963), Королевство кривых зеркал
13.Le Père Frimas (1964), Морозко
14.Feu, eau et… tuyaux de cuivre (1968), Огонь, вода и… медные трубы
15.Barbara la fée aux cheveux de soie (1969), Варвара-краса, длинная коса
16.Les Cornes d’or (1972), Золотые рога
17.Conclusion

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3 commentaires
ALGISI
Bonjour Mamaragan,
Je me permets de vous écrire de… Moscou puisque j’y vis et travaille.
Sur Kinoglatz, j’avais écrit 2 articles : l’un sur Ptouchko et l’autre sur le film de 1934 ‘Le Voyage cosmique » de Zuravlev.
Je suis tombé un peu par hasard, à vrai dire, sur votre article, fort bien documenté.C’est vrai que Roou est moins connu que Ptouchko qui était récompensé périodiquement lors de festivals comme celui de Berlin pour « Sadko ».
Il me semble qu’il y a une difference entre les deux : Je vois plutot Ptouchko dépeignant des héros de légende , au charisme puissant en tant que guerriers ou protagonistes étincelants alors que chez Roou , ce sont plutot des gens de basse condition mais qui arrivent à vaincre les épreuves grace à leur malice (dans le sens positif ou négatif du terme).
Ma passion pour les films de Merveilleux sovietique remonte à l’enfance : en 1972, j’avais 11 ans .Sur la premiere chaine TF1 , le 24 décembre en apres midi fut diffusé le films de Ptouchko qui venait de sortir au cinema (Le Cosmos à Paris).Je me rappelle avoir été scotché par le film. A noter que celui ci va ressortir prochainement grace à Artus film.
En 1975, toujours en période de Noel était diffusé « La Une est à vous » de …Guy Lux qui nous gratifia en 2 parties des « Nouvelles aventures du chat botté » de Roou .Là encore, malgré le noir et blanc de la télévision, j’avoue avoir été de nouveau scotché.
Ce film est mon préféré de Roou : Pour moi, il ya une satire sous jacente de l’ Etat sovietique ; courtisans veules réduits (Et pour cause) à l’état de pions; gardes annoncant que c’est l heure du repas et qu’ils ne bougeront pas etc…Il y a une atmosphere gothique horizontale et malfaisante (Tour de la sorciere) qui s’oppose à celle horizontale, éclatante du roi débonnaire.
La partie intellectuelle liée aux jeux d’échec s’oppose à celle, ludique du jeu de cartes .
Bizarrement, ce film est ignoré par les critiques lorsqu’il s’agit d’aborder l’oeuvre de Roou. Walt Lee ne le signale pas dans son encyclopedie.Idem dans les differentes biographies de Roou (francaise et americaine).Sur Wikipedia, le fim est mentionné sans plus.
J’ai revu ce film , voici quelques jours et vais vous donner quelques tuyaux pour pouvoir le visionner ainsi que d’autres de Roou , si toutefois vous connaissez un peu l’anglais.
Concernant le film « Cendrillon » de Roou, il a été édité par Bach film mais franchement vous ne perdez rien : c’est un opéra platement filmé qu’on peut trouver sur Rakuten ou Amazon.com ou fr pour quelques euros.
Concernant les personnes ayant écrit quelques petites choses (outre ma modeste personne pour des fanzines sur le cinema merveilleux sovietique) on peut citer Jean Pierre Andrevon, Nicolas Bonnal avec qui j’ai tenté de correspondre sans succes et vous, coté francais.
Pour les americains : Robert Skotak est incontournable mais n’a pu éditer un livre à ce sujet.Il a écrit des articles dans « Outre » ou « Starlog »
Pour les allemands, Rainer Domke a recensé enormément de films dans son ouvrage qu’il a bien voulu m’envoyer « Fantastische films in Zoviet Union ».
En ce qui me concerne, je pense en avoir vu 150 à 200 en cassette video ou DVD dans le but d’en faire un ouvrage mais … le temps manque.
Pour les filsm de Ptouchko et Roou soustitres ou doublé en anglais :
-Youtube
-Ok.ru
mais aussi en DVD je recommande 2 sites « LadyDVD.com » (Il est possible de lui envoyer une liste car tout n’est pas inscrit sur le site) et « Rarefilms andmore.com » compter environ 12 euros par film plus les frais de port.
« Les nouvelles aventures du chat botte » existe en francais (voir avec Arkeion, si celà existe toujours).Le site Petershop l’avait sous titré en anglais mais est en rupture de stock sinon en tapant sur Google « New adventures of Puss in boot Roou english le site Archive press l’a doublé en anglais (gratuit).
Voilà, en esperant avoir pu vous aider dans votre recherche de visionnage.
Bien cordialement
jl ALGISI
Luc Coupé
Je vous félicité fortement pour votre travail car, il existe très peu de site français qui se penchent sur le cinéma russe en général. Dénicher des petites perles est devenu votre dada et c’est tant mieux car, ici, on a réellement besoin de changement et les films russes ouvrent d’innombrables horizons.
J’en profite pour vous demander si vous seriez d’accord pour que je récupère votre critique concernant le film « Kachtcheï l’immortel » (1945) que je trouve intéressante et très pertinente.
Il existe plusieurs sites russes qui mettent en évidence la préparation et le tournage du film mais, très peu d’entre eux présentent des critiques de l’œuvre.
Si je vous demande cette faveur c’est que depuis plus de vingt ans je m’efforce de rassembler dans une encyclopédie tout ce qui a été tourné dans le Monde comme films liés de près ou de loin aux contes des Mille et Une Nuits et aux légendes orientales.
Par la présence d’un tapis volant, d’un bonnet d’invisibilité, d’une ville, de décors et de personnages orientaux rappelant fortement l’esprit des 1001 Nuits, le film se rattache indéniablement au genre que je prise.
Pour mon travail de cinéphile, je rassemble les films par décennie (de 1900 à 2025), et par catégorie (les films liés aux contes, les films en marge des contes et les productions télévisuelles – le tout rassemblé sur 30 volumes de 400 à 300 pages.
Chaque film est accompagné de document calligraphiques, affiches, photos, lobby cards, dossiers de presse, etc.) de fiches techniques, d’un résumé, d’une de mes critiques, de critique de la presse ou de cinéphiles et d’un paragraphe sur la possibilité de trouvé le film en vidéo.
Pour revenir à « Kachtcheï l’immortel » (titre traduit mais non officiel) – le vrai titre français du film est « La Légende fantastique » et le titre facultatif est « Le Vainqueur de la mort ». Le film russe est sorti en France entre 1978 et 1993 dans le cinéma parisien Le Cosmos (devenu aujourd’hui L’Arlequin). Ce cinéma de quartier était spécialisé en ce temps dans la programmation de films soviétiques – il est situé au 76 rue de Rennes (Paris 6ème).
Votre nom et le site Perestroikino seront mis en avant pour accompagné votre critique qui figurera parmi des centaines d’autres, des cinéphiles et des amateurs de cinéma de tous horizons.
Mamaragan
Bonjour,
Merci pour vos remarques. C’est vrai (du moins je crois) qu’il n’y a pas beaucoup de sites qui parlent de cinéma soviétique en France.
Je souhaite d’ailleurs continuer, mais j’ai un peu moins le temps (pour le moment).
Bien sûr, vous pouvez 🙂
C’est une sacrée aventure que vous avez entreprise. Vous comptez publier tout cela sous quelle forme ?
Chapeau pour la quantité d’informations recueillies ! Pour ma part, c’est le genre de projet que j’aimerais mener à bien, car oui, je déniche et rassemble des perles dans le but de les voir et d’en parler dans des dossiers comme celui-ci, mais je ne pense pas avoir la patience pour un projet aussi long que le vôtre.
N’hésitez pas si je peux aider, le cinéma traitant de « près ou de loin aux contes des Mille et Une Nuits et aux légendes orientales » m’intéresse aussi.