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Alexandre Rou : le conteur du cinéma soviétique

Les Cornes d’or (1972), Золотые рога



Voici déjà le dernier film de celui qui a tout donné pour les contes : Les Cornes d’or. Loin d’être le moins bon, ce film est tourné dans la grande tradition des contes russes : des personnages bons et attachants, des moments de pure magie, des plans poétiques qui rappellent ceux de Le Petit cheval bossu, un retour à une narration simple et efficace pour un conte plus traditionnel. On abandonne les narrations complexes pour une histoire plus directe. L’introduction, superbement filmée, est une chanson, véritable ode à la terre russe et à ses contes.



Ici, Baba Yaga, encore et toujours jouée par Gueorgui Milliar, est quelque peu différente. En effet, le personnage est plus moderne. Milliar qui avait été contacté par Alexandre Rou pour reprendre le rôle, avait dans un premier temps refusé car il pensait ne plus pouvoir réinventer la sorcière. C’est alors que l’un des membres de l’équipe du réalisateur eut l’idée de faire une Baba Yaga ménopausée, un peu plus soucieuse de son âge et de son apparence. Même si le changement n’est pas radical, il apporte une certaine fraîcheur à ce protagoniste qui, néanmoins, garde son aspect traditionnel.

Commençons par le commencement. Deux petites filles jumelles, Macha et Dacha, se rendent dans les bois pour cueillir des champignons. Elles désobéissent à leur mère quand elles décident d’aller du côté des marécages afin d’en trouver davantage. C’est ici le royaume de Baba Yaga qui aura tôt fait de les transformer en biches. Inquiète, leur mère, la vaillante Eudoxie, part à leur recherche. Avant de quitter le village, le grand-père lui donne une bourse remplie de la sainte terre russe pour l’aider dans sa quête. Commence alors un long voyage pour retrouver les enfants. Elle sera aidée en cela par Bois d’Or, un cerf incarnation de l’esprit de la nature comme on peut le retrouver dans certains films d’animation russes et même au Japon. Elle devra, dans son périple, aller demander l’aide du Soleil, de la Lune et du Vent pour retrouver ses adorables fillettes.



On notera ici, un aspect fortement animiste dans la présence de tels personnages à l’écran. Tel était déjà le cas dans Le Petit cheval bossu. On peut retrouver cet appel à la nature directe dans le film d’animation Geese-swans (Les oies-cygnes) réalisé en 1949 par Alexandra Snezhko-Blotskaya qui adaptait encore un conte. Une jeune fille et son frère échappaient à Baba Yaga avec l’aide d’un pommier ou d’un ruisseau. Ou encore dans le chant du cygne d’un autre grand réalisateur : Rouslan et Ludmila d’Alexandre Ptouchko (1972).

Eudoxie finit par retrouver ses enfants. Mais Baba Yaga est très forte dans ce film, capable de transformer les enfants en animaux, déclencher des incendies, de commander la nature ou de se changer en guerrière (chose rare). Plus rare encore : la mère guerrière. Eudoxie, grâce à la terre de son village natale va se métamorphoser en Valkyrie vengeresse. Cette puissante métaphore du pouvoir dont est imbibée la terre russe (donc l’âme russe) était à l’honneur dans Kachtcheï l’immortel. C’était encore grâce à la terre des ancêtres que le héros parvint à se hisser au niveau du méchant sorcier, au point même que de la terre naquit une armée, tels Adam et Eve nés de l’argile. On le voit, le rapport à la terre dans les contes est très christique, pour ne pas dire païen.

Les Russes sont les enfants de la terre russe, fertile et bienfaisante, en elle sont présentes les vertus humaines telles qu’enseignées par les contes. Une sorte de vision très païenne et ancienne semble être manifestée régulièrement dans cet attachement particulier et viscéral à la terre du bon pays russe. Cette spécificité est l’un des thèmes marquants qui font des contes russes des témoignages de la culture d’un peuple. En coutre, pour l’aspect cinématographique, cela faisait bien longtemps que dans la carrière de Rou il n’y avait pas eu un vrai combat pour défaire le mal et sauver le bien. Un bon combat chevaleresque entre une mère violence et Baba Yaga. Cela faisait depuis Kachtcheï l’immortel en fait. Soyons honnêtes les héros de Le Père Frimas, Feu, eau… et tuyaux de cuivre ou même Barbara la fée aux cheveux de soie n’ont pas eu grand-chose à faire.



Malheureusement pour Baba Yaga, qui voulait faire preuve de générosité en débarrassant la forêt des deux gamines, elle sera défaite par une mère qui ne voit que le sang pour récupérer ses moufflets. Arrêtons-nous un instant sur le personnage de l’ogresse, toujours attachante.

Comme je l’ai dit un peu plus haut, son traitement est un peu plus moderne. Elle possède le téléphone, est plus coquette, allant même jusqu’à se considérer comme une allumeuse. On la voit même vivre une sorte d’amourette avec un sylvain de la forêt. Mais encore plus que ça, c’est la vision que l’on a de l’URSS au travers de la modernité du traitement de Baba Yaga qui transparaît. Il faut voir Baba Yaga comme une icône culturelle qui ne cesse d’être réinventée du XIXeme siècle à aujourd’hui. En cela, elle ressemble beaucoup aux super-héros américains qui sont réinventés pour le besoin de chaque époque.



Le changement de Baba Yaga est subséquent d’un esprit dominant à une époque donnée. Cette vision moderne est d’ailleurs confirmée par le cinéma d’animation qui voit également le personnage se « civiliser ». Que ce soit dans Baba Yaga is against (1980) de Vladimir Pekar où elle est en jupe et à talons et surtout dans Ivashka from young pioneers palace (1981) où elle doit faire face à la technologie. Si la tradition veut survivre, elle doit elle aussi s’adapter pour ne pas vivre le sort de l’oubli et de l’ignorance comme dans le film d’animation La fin du marais noir dont j’ai parlé plus haut.

Ainsi, il est très amusant de voir Baba Yaga chanter et danser avec une démarche chaloupée une espèce de danse issue de la culture yéyé des années 1960. Elle se mire dans un miroir en décrétant que malgré ses 300 ans, elle reste la plus belle. L’utilisation de ce style de musique est à mettre en parallèle avec une relative ouverture de l’URSS sur l’Ouest avec l’introduction du rock. Plus encore, ce qui marque les esprits, c’est le procès de Baba Yaga.

Une fois défaite, toute la forêt et ses servants se soulèvent contre elle. La méchante tutélaire des contes semble devoir obéir à la modernité et disparaître en tant que relique d’une époque passée. Que doit-on comprendre ? Que le bien gagne ? Que le peuple veut du changement au sein d’un pays fermé sur lui-même ? Rien du tout ? Qu’il faut faire un procès à toute forme de domination, capitaliste comme communiste ? Gageons qu’il y a là certainement un message dont je vous laisserai seuls juges.

Pour le bien des parents et du monde, alors qu’il y a encore tant de morpions à dévorer, souhaitons longue vie à Baba Yaga !

La fiche kinoglaz du film : https://www.kinoglaz.fr/index.php?page=fiche_film&lang=fr&num=1618



Tables des matières

1.Introduction
2.Par le vœu du brochet (1938), По щучьему веленью
3.Vassilissa la Belle (1939), Василиса Прекрасная
4.Le Petit cheval bossu (1941), Конек – горбунок
5.Kachtcheï l’immortel (1944), Кащей Бессмертный
6.Une nuit de mai, ou une noyée (1952), Майская ночь, или утопленница
7.Le Mystère d’un lac de montagne (1954), Тайна горного озера
8.Un cadeau précieux (1956), Драгоценный подарок
9.Les Nouvelles aventures du Chat botté (1958), Новые похождения кота в сапогах
10.L’Habile Maria (1959), Марья-Искусница
11.Les Veillées dans un hameau près de Dikanka (1961), Вечера на хуторе близ Диканьки
12.Au Royaume des miroirs déformants (1963), Королевство кривых зеркал
13.Le Père Frimas (1964), Морозко
14.Feu, eau et… tuyaux de cuivre (1968), Огонь, вода и… медные трубы
15.Barbara la fée aux cheveux de soie (1969), Варвара-краса, длинная коса
16.Les Cornes d’or (1972), Золотые рога
17.Conclusion

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