Le cinéma d’animation soviétique des débuts de l’URSS à la fin de la Seconde Guerre mondiale : quatrième partie (1938-1940)
–Little daring (МАЛЕНЬКИЙ-УДАЛЕНЬКИЙ), 1938, réalisé par Valentin Kadochnikov, animé par Ye. Piotrovskaya, S. Zonnenburg, V. Pokorskaya, G. Yalov, Maria Benderskaya, S. Tikhonova, enfance, marionnettes, Mosfilm ♥
Un très sympathique film pour commencer cette nouvelle partie du dossier sur le cinéma d’animation soviétique. Une partie de football entre des lièvres et des chèvres. Le film ne manque pas d’humour avec les chèvres tricheuses qui affûtent leurs cornes pour qu’elles coupent et qui utilisent un ballon-hérisson. Court-métrage très ludique où l’animation est une fois de plus remarquable au vu de tous les personnages.
–Ivashka and Baba-Yaga (ИВАШКО И БАБА-ЯГА), 1938, réalisé par Valentina Brumberg, Zinaida Brumberg, animé par Fiodor Khitrouk, B. Titov, K. Malyshev, Boris Dezhkin, Faina Yepifanova, Lidia Reztsova, Nadezhda Privalova, conte folklorique, dessin animé, Soyuzmultfilm ♥
Les sœurs Brumberg se sont spécialisées dans l’adaptation de contes. Même si les premiers films d’animation de Soyuzmultfilm privilégient les contes et autres histoires enfantines, les personnages du folklore ne courent cependant pas les rues. C’est donc un vrai plaisir de découvrir peut-être le premier film d’animation avec une célèbre méchante de contes russes : Baba-Yaga et sa maison sur pattes de poule. Le film est adapté du conte Ivashko. Baba-Yaga capture un enfant afin de le manger. Mais il finira par s’en sortir avec l’aide des oies. C’est la même histoire, mais cette fois avec des marionnettes qui sera mise en scène dans le film d’animation ukrainien : Ivasik-Telesik (1968) de Leonid Zarubin. Il est intéressant de noter que le film est contemporain du film Vassilissa la Très Belle (1939) d’Alexandre Rou. Ce film lançait la grande vague des adaptations de contes impulsée par le pouvoir afin de rendre la vie plus gaie. Qui plus est, on y découvrait également la présence de Baba Yaga. Enfin, le film d’animation commence à s’émanciper du style Disney pour s’inspirer du célèbre illustrateur des contes de fées : Ivan Bilibine. Bref, un petit bonheur !
–The Cat in boot (КОТ В САПОГАХ), 1938, réalisé par Valentina Brumberg, Zinaida Brumberg, animé par Lidia Reztsova, Faina Yepifanova, K. Malyshev, Nadezhda Privalova, conte, dessin animé, Soyutmultfilm
Les sœurs Brumberg continuent leurs adaptations de contes du folklore russe ou d’ailleurs. Cette fois, c’est une adaptation très fidèle du Chat Botté de Charles Perrault. Le style du dessin animé est toujours proche de Disney. On signalera une fois de plus que le cinéma d’animation anticipe les adaptations de contes live, puisque l’incontournable Alexandre Rou adaptera cette même histoire dans son film Les Nouvelles Aventures du chat botté (1958). Les sœurs Brumberg réaliseront une nouvelle adaptation du Chat Botté en 1968.
–Cat’s house (КОШКИН ДОМ), 1938, réalisé par Panteleimon Sazonov, conte/koultourfilm, dessin animé, Soyuzmultfilm
L’histoire est adaptée d’une œuvre du poète Samouil Marchak. Le scénario met en avant la prévention contre les incendies et le courageux travail des pompiers. Deux petits chats turbulents jouent avec des allumettes et finissent par mettre le feu, obligeant les pompiers à intervenir. La prévention contre le feu est un sujet qui revient parfois dans les films d’animation soviétiques. On retrouve ce sujet dans le film d’animation ukrainien A straw bull-calf (1971) de Leonid Zarubin.
–The hen in the street, 1938, réalisé par Panteleimon Sazonov, animé par O. Puzyreva, Boris Dezhkin, Lidia Reztsova, I. Kovalenko, A. Shchekalina, Faina Yepifanova, koultourfilm, dessin animé, Soyuzmultfilm
Dans un style Disney, ce film est le premier produit par les célèbres studios sur le code de la route. Plusieurs parents animaux vont récupérer leurs enfants à l’hôpital, conséquence de leur inattention. L’animation soviétique avait déjà évoqué ce sujet dans Across street de 1931.
–A little liar (ЛГУНИШКА), 1938, réalisé par Ivan Ivanov-Vano, animé par Lamis Bredis, B. Petin, Nadezhda Privalova, B. Titov, Lev Pozdneyev, G. Frolova, conte fantastique, dessin animé, Soyuzmultfilm
Toujours dans le style Disney, ce film met en scène un jeune caneton qui après avoir lu les aventures du baron de Münchhausen se prend pour lui. Il raconte alors à ses amis ses incroyables tribulations dans la peau du baron. Ivan Ivanov-Vano avait déjà participé en 1929, à l’animation d’un autre film sur le baron : Les aventures de Münchhausen.
-Little Mook (МАЛЕНЬКИЙ МУК), 1938, réalisé par Olga Khodataeva, animé par T. Puzyreva, A. Shchekalina, V. Makeyev, V. Bochkarev, B. Petin, G. Frolova, conte oriental, dessin animé, Soyuzmultfilm ♥
Little Mook est adapté d’un célèbre conte allemand : Histoire du petit Mouck. L’originalité de ce conte est qu’une partie se déroule en Orient. Le film s’ouvre sur un petit garçon qui se fait rejeter. Il part alors à l’aventure et se fait recueillir par une vieille sorcière dont il doit s’occuper des chats. La vieille le punira pour avoir mis le bazar chez elle. Il part alors en s’emparant des babouches magiques de la sorcière qui permettent de voler. Grâce à elles, il arrive dans un royaume occidental. Le roi, impressionné par ses pouvoirs, lui donne le rôle de coursier. Mais les têtes couronnées sont souvent mal intentionnées. Le roi fera voler les babouches du pauvre Mook. Le garçon errera alors dans la jungle et tombera par hasard (qui fait bien les choses) sur un fruit qui fait pousser les oreilles et le nez quand on les mange. Il va pouvoir se venger en les faisant avaler à toute la cour. Il récupérera ses babouches et les aristocrates resteront comme cela pour méditer sur leurs mauvaises actions.
Ce film est l’un de ceux qui marquent la transition de Soyuzmultfilm d’un style Disney vers une voie plus personnelle. L’esthétique s’affine et commence à s’éloigner des graphismes enfantins. De plus, l’animation est splendide. L’histoire diffère quelque peu du conte. Mook y a plus d’objets magiques par exemple. Je rajouterai que ce conte a également été adapté en film est-allemand par Wolfgang Staudte en 1953 sous le titre de L’ Histoire du petit Muck qui a accompli l’exploit d’attirer plus de 12 millions de spectateurs à sa sortie. Le film est disponible en France chez Artus Film.
–Le Petit Poucet (МАЛЬЧИК-С-ПАЛЬЧИК), 1938, réalisé par Olga Khodataeva, animé par T. Puzyreva, A. Shchekalina, Lidia Reztsova, V. Makeyev, B. Petin, G. Frolova, conte, dessin animé, Soyuzmultfilm
Ce film adapté du célèbre conte de Charles Perrault est très bon, bien que plus léger que l’original. Les enfants ne sont pas ici abandonnés, ils s’égarent simplement à cause d’une tempête en suivant leurs parents dans la forêt. Ils trouvent alors refuge chez l’ogre. Le Petit Poucet, malin, réussit à voler le sac d’abondance et les bottes de 7 lieues puis à libérer ses frères. Comme le film précédent, on s’éloigne de Disney pour trouver un style différent.
–A tale about kind Umar (СКАЗКА О ДОБРОМ УМАРЕ), 1938, réalisé par Alexander Yevmenenko, animé par Nadezhda Privalova, O. Puzyreva, Gennady Filippov, Lev Pozdneyev, V. Makeyev, Fiodor Khitrouk, Faina Yepifanova, G. Frolova, Valentin Lalayants, conte oriental, dessin animé, Soyuzmultfilm ♥
Soyuzmultfilm s’émancipe de plus en plus de son style Disney et c’est très bien. C’est encore l’adaptation d’un conte, ouzbek cette fois, le film est donc empreint d’une inspiration orientale. Le jeune Umar, un garçon pauvre, vend du bois qu’il ramasse pour manger. Le notable auquel il le vend, l’exploite en ne lui donnant que peu de nourriture qu’Umar partage avec son chat et son chien. Un serpent magique lui donne un anneau pour le récompenser de sa gentillesse. S’il le tourne trois fois et qu’il fait un vœu, il sera exaucé. Evidemment, cela va attirer la convoitise du notable…
–The tale about Yemelia (СКАЗКА ПРО ЕМЕЛЮ), 1938, réalisé par V. Bochkarev, Panteleimon Sazonov, animé par Boris Dezhkin, B. Titov, Leonid Amalrik, Lidia Reztsova, Lamis Bredis, Vladimir Polkovnikov, Faina Yepifanova, conte folklorique, dessin animé, Soyuzmultfilm ♥
Il s’agit d’une nouvelle adaptation d’un conte russe : Yémélia le sot. Yémélia, un simplet paresseux, pêche un jour un brochet. Ce dernier lui promet qu’en échange de sa vie, il pourra lui donner le pouvoir d’exaucer tous ses vœux. Yémélia accepte. Il peut dès lors tout faire : les seaux d’eau se ramènent tout seul, le bois se coupe tout seul… Même le tsar en entend parler et rend visite à Yémélia car cela perturbe la société. Le souverain enverra ses soldats pour saisir le malotru, mais c’est sans compter sur les nouveaux pouvoirs de Yémélia. La situation initiale est quasiment la même que celle du film Le Conte du pêcheur et du Petit poisson adapté de Pouchkine. Le film est agréable à regarder et conserve encore une certaine identité Disney. Ce film d’animation adapte un conte qu’Alexandre Rou met en scène la même année en film live : De par la Volonté du Brochet.
–Les Trois Mousquetaires (ТРИ МУШКЕТЕРА), 1938, réalisé par Ivan Ivanov-Vano, aventure, dessin animé, Soyuzmultfilm
Cette adaptation de l’œuvre d’Alexandre Dumas montre à quel point les sources d’inspiration étaient variées. Entre contes occidentaux, slaves, contes de Kipling… Le film ne dure que 10 minutes et garde encore un style plus Disney que soviétique. Néanmoins, l’histoire qui présente l’arrivée de D’Artagnan à Paris et les fameux duels qui s’en suivent se regardent avec plaisir. Apparemment, Ivan Ivanov-Vano n’appréciait pas ce film, ni A little liar, qui ont dû être faits dans un style qui n’était pas le sien.
–Fedor the hunter (ОХОТНИК ФЕДОР), 1938, réalisé par Alexandre Ivanov, animé par B. Petin, Faina Yepifanova, V. Makeyev, L. Dikovsky, Lamis Bredis, Nadezhda Privalova, A. Shchekalina, Valentin Lalayants, T. Puzyreva, Fiodor Khitrouk, conte/agit-prop/guerre, dessin animé, Soyuzmultfilm
Ce film montre à quel point l’art est profondément lié à la politique. Alors que les précédents films de Soyuzmultfilm étaient innocents et sans profondeur la plupart du temps, Fedor the hunter change le fusil d’épaule (c’est le cas de le dire). L’histoire, inspirée d’un conte moderne bouriate met en scène un jeune garçon. Lors d’une partie de chasse avec ses aînés pendant laquelle il montre une adresse et une force impressionnantes, il tombe sur des soldats japonais qui tentent de passer la frontière. Le film passe sans problème d’une histoire plutôt gentille à un film de guerre sans transition. Histoire de rappeler que le réalisme socialiste qui doit faire de la vie un conte peut s’arrêter du jour au lendemain. Ce film en est l’exacte représentation. La caricature et la bêtise des Japonais n’ont rien à envier aux films des années 1920. Sauf qu’ici, le film s’adresse directement aux enfants… Fedor, le jeune bouriate se transforme en patriote et réussit (avec deux aînés) à repousser une armée de soldats japonais. Il faut admettre que, vu avec un second degré, le ton est comique. Le film a beau s’adresser à des enfants, la violence cartoonesque devient presque réaliste. Les Japonais explosent… bref sont ridiculisés avant de se faire virer vite fait bien fait par l’Armée rouge qui débarque avec tanks, avions et le sourire. Même la nature est du côté des Soviétiques. À noter que la fin est un vrai massacre de Japonais, le tout dans un style Disney. Ce qui choque le plus, c’est l’absence de transition entre le conte (s’il y en a vraiment un) et la guerre. L’enfant passe de chasseur à tueur d’humains, normal. Elle est pas belle la vie ?
–Why rhinoceros has skin with wrinkles? (ПОЧЕМУ У НОСОРОГА ШКУРА В СКЛАДКАХ), 1938, réalisé par Vladimir Suteyev, animé par Boris Dezhkin, B. Petin, Nadezhda Privalova, Leonid Amalrik, conte/cartoon, dessin animé, Soyuzmultfilm
On continue dans le style Disney avec une nouvelle adaptation de Kipling. Un rhinocéros use de sa force pour s’emparer d’un gâteau fait par un marin et ses amis animaux. Tous les animaux le craignent. Mais la bande d’amis va faire passer l’envie au rhinocéros de recommencer.
–Dzhiabzha (ДЖЯБЖА), 1938, réalisé par Mstislav Pashchenko, animé par Ye. Kazantseva, Yu. Gogev, Vera Tsekhanovskaya, M. Radynskaya, conte, dessin animé, Lenfilm ♥
Ce film sorti du studio d’animation que dirigeaient Mikhaïl Tsekhanovsky et sa femme est assez différent du style de Soyuzmultfilm. L’esthétique est stylisée, peut-être pour coller avec l’origine nanaïque (minorité ethnique du nord de l’URSS) de ce conte. Une petite fille et ses amis animaux sont exploités par une méchante femme. Ils finissent par se sauver, et parviennent en grimpant sur un arbre à trouver refuge sur la lune. Le film est en couleur. Sa réalisation permet de voir les différents niveaux de décors. En effet la profondeur de champ est clairement exploitée.
–The dog and the cat (ПЕС И КОТ), 1938, réalisé par Lev Atamanov, animé par M. Yessanyan, M. Shumkova, M. Karapetyan, K. Yeranyan, Sh. Melkonyan, N. Vassilyev, conte, dessin animé, Armencinema
En 1938, le célèbre réalisateur Lev Atamanov (il a réalisé le très beau La Reine des neiges en 1957) s’était rendu à Erevan en Arménie où il jeta les bases du cinéma d’animation arménien. Ce film en est représentatif. C’est un dessin animé très correct. Il raconte sous forme de conte pourquoi les chiens et les chats se détestent.
–Destination, la victoire (ПОБЕДНЫЙ МАРШРУТ), 1939, réalisé par Dmitry Babichenko, Leonid Amalrik, Vladimir Polkovnikov, agit-prop, dessin animé, Soyuzmultfilm ♥
Après une année 1938 chargée en adaptations de contes, il fallait bien quelques films d’agit-prop pour garder le moral ! Ce film fait l’apologie des plans quinquennaux et de la politique stalinienne. Ainsi, le premier plan sur l’électrification du pays et la réforme de l’agriculture est une réussite. On omet bien évidemment de citer les grandes famines de 1931-1933. Par contre, on précise bien que la dernière classe capitaliste des koulaks a été éliminée. On montre également les grandes réalisations industrielles du pays. Suit le second plan quinquennal qui met en avant la puissance militaire de l’URSS provoquant la peur chez les capitalistes. Que dire de la magnifique chanson en l’honneur de Staline : « Et dans notre pays idyllique, nos voix sont vraiment authentiques. La vie est meilleure on s’en réjouit ! C’est le souhait de la patrie, de dire à Staline : Merci ! ». Le film correspond aux standards artistiques du réalisme socialiste, c’est très propre et harmonieux, notamment au niveaux des ombres et des lignes géométriques. Il faut reconnaître que c’est bien animé.
–Chroniques de guerre (БОЕВЫЕ СТРАНИЦЫ), 1939, réalisé par Dmitry Babichenko, animé par D. Kluev, L. Lukachevsky, I. Irtenev, P. Fedorov, Roman Davydov, I. Kovalenko, Lev Zhdanov, agit-prop, dessin animé, Soyuzmultfilm ♥
Ce film complète le précédent. Il se déroule pendant la guerre civile qui suivit la révolution d’Octobre 1917. Il montre les durs combats que mena l’Armée rouge contre l’envahisseur. Mais les années ont passé, l’URSS est désormais plus puissante qu’avant et répondra à n’importe quelle provocation. Le style du film change en fonction des personnages. L’ouverture est surprenante entre ses dessins en couleurs et aux contours, presque expérimentale, peut-être car elle évoque la période tsariste. Ensuite, quand ce sont des militaires capitalistes comme les Japonais ou les Allemands qui sont à l’écran, on utilise la caricature. Par contre, quand ce sont les Soviétiques, c’est l’art du réalisme socialiste qui est utilisé avec ses personnages harmonieux et ombrés, mis en valeur par un fond rouge écarlate et il faut bien admettre que ça en jette. Rien que pour le mélange des styles, il vaut le coup d’être vu. Les films d’animation se déroulant pendant la guerre civile sont plutôt rares.
–Warlike beavers (ВОИНСТВЕННЫЕ БОБРЫ), 1939, réalisé par Alexander Beliakov, Dmitry Babichenko, cartoon/guerre, dessin animé, Soyuzmultfilm ♥
Les films de Dmitry Babichenko évoquent décidément la guerre même quand ils sont fictifs. Ce film reprend le style Disney avec une classique histoire de méchant et de gentil. Le méchant est représenté par un lynx (ça change du loup ou du renard) et les gentils sont une famille de castors. Ils se livrent une vraie guerre, naturellement gagnée par les castors qui font du pauvre lynx une descente de lit ! C’est un des premiers films a passé d’un thème plutôt enfantin à un thème plus adulte comme la guerre, le contexte proche de la Seconde Guerre mondiale a dû influencer.
–Grand-pa Ivan (ДЕД ИВАН), 1939, réalisé par Alexandre Ivanov, conte socialiste/agit-prop, Soyuzmultfilm♥
Ce film est réellement à voir pour comprendre une certaine évolution de l’animation soviétique. Il illustre comment le réalisme socialiste s’immisce dans les contes pour faire de la révolution un mythe qui se confond avec les contes de fées. D’ailleurs, l’histoire est une variante d’un conte russe. Ivan, un vieillard, reçoit la visite de la Mort qui veut l’emmener avec elle. Mais avant d’y aller, il souhaite revoir ses trois enfants. « Son tour d’URSS le conduit à Moscou où son aîné accomplit des miracles, dans un kolkhoze où le cadet maîtrise la pluie et le soleil, et à l’armée où le benjamin officier franchit tous les obstacles en char d’assaut et en avion. Une apologie parfaite du système soviétique né de la Révolution1. » Les hommes Soviétiques modernes ont remplacé les divinités. La vie est devenue tellement simple et exaltante en Union soviétique qu’Ivan se sent rajeunir et ne veut plus mourir. La modernité a non seulement abattue la tradition folklorique, mais elle a en plus vaincu la mort. La symbolique est parfaite. Le réalisme socialiste est le style adéquat pour un tel conte. Le mélange du conte populaire et de l’art officiel soviétique trouve dans ce film une fusion parfaite.
–Uncle Stepa (ДЯДЯ СТЕПА), 1939, réalisé par Lamis Bredis, Vladimir Suteyev, animé par T. Puzyreva, Boris Dezhkin, Lidia Reztsova, Nadezhda Privalova, A. Shchekalina, Faina Yepifanova, Fiodor Khitrouk, conte socialiste/réalisme, dessin animé, Soyuzmultfilm
Ce film marque une progression par rapport au style Disney adopté par Soyuzmultfilm à ses débuts. Il s’agit de l’adaptation d’un poème de Sergei Mikhalkov, celui-là même qui a écrit les paroles de l’hymne soviétique. Stepa est un « géant » dont la taille est à peu près la hauteur d’un bus. Il vient chercher un logement à Moscou. En fait, cet homme est comme tout le monde, mise à part sa taille. Il est très généreux et volontaire. C’est ainsi qu’il aide les enfants dont il est devenu la mascotte. Le film n’a pas vraiment d’histoire en fait. On suit les divagations du géant avec les jeunes pionniers. Même si ces derniers représentent une organisation purement communiste, il n’y a pas vraiment de message. Le film est doux à regarder avec son mélange de réalisme et de cartoon. Le géant se contorsionnant selon les besoins. Stepa est un personnage simple qui véhicule de belles valeurs et une bonne humeur avec son éternel sourire. Là où le film se distingue également, c’est par son style visuel. Même s’il est encore assez simple, on s’éloigne un peu de Disney, notamment dans le chara design des personnages. L’histoire fait également mention d’autres poèmes de Sergueï Mikhalkov, par ailleurs père de deux réalisateurs connus : Nikita Mikhalkov et Andreï Kontchalovski. À noter que le personnage de Stepa sera plusieurs fois adapté en films d’animation.
–Limpopo (Лимпопо), 1939, réalisé par Leonid Amalrik, Vladimir Polkovnikov, animé par Nikolai Fedorov, Lidia Reztsova, Boris Dezhkin, I. Kovalenko, L. Popov, Valentin Lalayants, B. Titov, K. Malyshev, Faina Yepifanova, Roman Davydov, conte/fantasy, dessin animé, Soyuzmultfilm ♥
Avec ce film, Leonid Amalrik s’éloigne de plus en plus du style Disney qui était imposé aux débuts du studio et a défini un nouveau style soviétique. Les animateurs commencent depuis 1938 à chercher leur propre voie. Le dessin est réaliste et n’est plus encombré de ces histoires certes distrayantes mais sans fond qu’étaient les copies de Disney. Ce film est l’adaptation de l’œuvre pour enfants Doctor Aybolit de l’écrivain Korney Chukovsky. Docteur Aybolit est un médecin aimé des bêtes, prêt à tout pour les soigner. Il reçoit une demande d’aide d’animaux en Afrique qui tombent malades les uns après les autres. Ni une ni deux, le brave docteur se rend en Afrique en se faisant aider par de nombreux animaux : baleine, loups, aigles… Les aventures du docteur excentrique seront adaptées dans d’autres court-métrages ultérieurs, formant une mini-série. À noter que l’œuvre originale sera de nouveau adaptée par le réalisateur ukrainien David Cherkassky dans les années 1980 en une mini-série animée avec du papier découpé.
–Moidodir (МОЙДОДЫР), 1939, réalisé par Ivan Ivanov-Vano, animé par Faina Yepifanova, Valentin Lalayants, Lidia Reztsova, Boris Dezhkin, Michael Botov, Lev Pozdneyev, B. Petin, conte, dessin animé, Soyuzmultfilm
Si avec Uncle Stepa et Limpopo l’animation soviétique s’émancipait de plus en plus du style Disney, Moidodir renforce le mouvement. Pas seulement sur le chara design, mais dans l’univers lui-même. Les personnages sont certes plus stylisés, mais même l’histoire est plus poussée que les films de 1937. Il y a du fantastique mais pas gratuit et seulement amusant, il sert un propos. Ici, les objets prennent vie et fuient le garçon polisson et sale. Un objet, le Moidodir, une sorte de meuble vasque composé des différents éléments d’une salle de bain, fait la morale au garnement. Ce dernier finit par entendre raison, il ira se laver, prendra enfin soin de lui et des objets. On le voit, le fantastique sert une morale. L’animation pour enfant se fait plus réaliste. Il y a de moins en moins d’animaux anthropomorphes, plus de réflexion, le dessin se fait plus stylisé en même temps que moins cartoonesque. Évidemment, le film déploie une certaine morale… Au final, le changement se fait en opérant un virage vers une idéalisation : les enfants sont souriants, font amende honorable, l’humour est gentil… On est à mi-chemin entre le film de conte et le film éducatif. L’histoire est adaptée une fois de plus de l’écrivain pour enfant Korney Chukovsky.
–La Petite Clef en or (ЗОЛОТОЙ КЛЮЧИК), 1939, réalisé par Alexandre Ptouchko, conte, marionnettes/PVR, Mosfilm ♥
Le second long-métrage d’animation soviétique est réalisé par Alexandre Ptouchko, déjà auteur du premier. Cette histoire est une relecture de Pinocchio avec une porte fermée par une clef d’or. Derrière cette porte, il y aurait, dit-on, des richesses incommensurables. Le long-métrage multiplie les scènes merveilleuses et enchanteresses qu’on ne peut voir que dans les contes et que seule la stop motion peut embellir à ce point-là, c’est un ravissement pour les yeux. Les grenouilles, les tortues, les oiseaux… tous les animaux et même les décors s’animent. Si Le Nouveau Gulliver était ambigu sur la satire politique, ici le film n’est pas destiné à un quelconque propos de propagande, quoique la chanson du film a bien quelques paroles mystérieuses… Les plans composites constitués d’humains et de marionnettes ensemble sont impressionnants de maîtrise technique et ont longtemps servi d’exemple. Le numérique ne ferait guère mieux et sans ce cachet propre à la stop motion. L’animation des visages n’est pas loin parfois du Roman de Renard de Ladislas Starewitch, c’est dire le niveau ! Dans la dernière partie, les décors débordent tellement de vie qu’on pense à Dark Crystal de Jim Henson.
Toujours est-il que c’est une petite merveille, et les long-métrages en stop motion sont rares !
Un autre avis en russe : http://allofcinema.com/zolotoy-klyuchik-zolotoy-klyuchik-1939/
–And we will go to Olympiad (И МЫ НА ОЛИМПИАДУ), 1940, réalisé par Vladimir Suteyev, animé par Faina Yepifanova, Roman Davydov, I. Kats, D. Belov, Alexander Beliakov, I. Kovalenko, Lidia Reztsova, enfance, dessin animé, Soyuzmultfilm
Ce film est à nouveau dans un style Disney. Il s’agit de spectacles de magie et de cirque sur scène donnés par des enfants et des animaux.
–Ivas (Ивась), 1940, réalisé par Ivan Ivanov-Vano, conte socialiste/agit-prop, dessin animé, Soyuzmultfilm ♥
Les aventures d’un garçon biélorusse, Ivas, dans la Pologne biélorusse et sa libération par l’Armée rouge. Comme en 1939, ce film est un mélange entre conte et agit-prop. Il peut être regardé en complément de Chroniques de guerre. En effet, il se passe pendant la guerre civile en Biélorussie, alors occupée par les Polonais. Ivas est l’incarnation du héros soviétique moderne ou russe du passé. Il est beau, fort (il abat des forêts d’un seul coup d’arbre), aime sa patrie comme Alexandre Nevski ou Ilya Mouromets. Dieu sait comment les méchants Polonais caricaturés arrivent à l’enrôler dans leur armée. On nous montre les dégâts qu’a subis le pays à cause d’eux. Mais c’est sans compter sur l’intervention héroïque de l’Armée rouge avec la chanson soviétique Plaine ma plaine en fond sonore. Le style du film est réaliste.
–The tale about Priest and his worker Balda (СКАЗКА О ПОПЕ И РАБОТНИКЕ ЕГО БАЛДЕ), 1940, réalisé par Panteleimon Sazonov, conte folklorique, dessin animé, Soyuzmultfilm ♥
Cette histoire adaptée de Pouchkine est la seconde tentative d’adaptation après le long-métrage de Mikhaïl Tsekhanovsky qui a brûlé en 1941. Cette fois-ci le style est très différent. L’intrigue suit un prêtre ventru plutôt hypocrite avide de richesses. À tel point qu’il demande à son métayer, Balda, de lui rapporter le trésor du roi des mers. Balda est le genre de personnage qu’aiment bien les contes russes et intéressant pour le réalisme socialiste. Il est simple, humble, juste, fier de sa terre comme le personnage d’Ivas du film au-dessus, ou comme un bogatyr au fond. Ils sont d’ailleurs toujours représentés de la même manière : idéalisés, grands et forts. Il faut savoir que Balda plante des poteaux à main nue, et qu’il est capable de déchaîner l’océan avec une corde pour faire sortir le roi sous-marin de son repaire. Celui-ci peut s’assimiler à l’Ondin, un personnage de contes que l’on peut voir dans les films d’Alexandre Rou. Ce dernier lui demande d’abord de gagner deux épreuves avant de lui donner son trésor. La première est une course de lièvres et la seconde le dressage d’un cheval. Bien sûr, Balda remporte les épreuves, non sans avoir tricher. Il ramène alors le trésor au prêtre non sans lui avoir fait subir une gentille petite bastonnade pour le soigner de son avidité. On retrouve les éléments typiques de l’animation de Soyuzmultfilm en train de s’affirmer : un trait doux et réaliste, un certain lyrisme, une histoire avec morale, un personnage idéalisé (cela peut être tout aussi bien un enfant), un humour dosé…
–Favourite heros (ЛЮБИМЫЕ ГЕРОИ), 1940, réalisé par Dmitry Babichenko, hommage/caricature, dessin animé, Soyuzmultfilm
Ce film commémore les 20 ans du cinéma soviétique. On rend hommage à différents acteurs réputés dans leurs rôles sous forme de dessins animés. On reconnaîtra ainsi l’acteur Nikolaï Tcherkassov dans son rôle d’Alexandre Nevski du film éponyme de Sergueï Eisenstein. Il me semble qu’il y a également un hommage à Dziga Vertov à la fin (la caméra), à Chtchors (1939) d’Alexandre Dovjenko ou encore aux Tractoristes (1939) d’Ivan Pyriev. Pour le reste, je ne suis pas sûr.
–The bear-cub (МЕДВЕЖОНОК), 1940, réalisé par Alexander Yevmenenko, Petr Nossov, Olga Khodataeva, animé par Gennady Filippov, Nikolai Fedorov, A. Shchekalina, Yu. Popov, Fiodor Khitrouk, P. Fedorov, L. Popov, conte/enfance, dessin animé, Soyuzmultfilm ♥
Ce film confirme qu’on s’éloigne de plus en plus du style Disney. Les graphismes sont plus détaillés et moins ronds, et surtout, l’histoire a beau être enfantine elle véhicule un message. Un petit ourson s’éloigne de sa mère et finit capturé par un vieillard qui le vend à un zoo. Un enfant passe devant sa cage avec son ours en peluche. L’ourson, particulièrement intelligent, échange sa place avec le nounours. S’en suivront quelques mésaventures dans un magasin de jouets avant qu’il n’arrive à regagner sa forêt. Il y a une certaine émotion, une légère tristesse pour le sort de cet ourson même s’il parvient à retrouver les siens. Telle est l’animation soviétique pour les enfants : des histoires imaginaires mais avec un fond, une poésie et quelques émotions. La tendance cartoonesque des débuts avec des histoires certes drôles mais sans âme commence à s’éclipser.
–A tale about the silly little mouse (СКАЗКА О ГЛУПОМ МЫШОНКЕ), 1940, réalisé par Mikhaïl Tsekhanovsky, conte, dessin animé, Lenfilm ♥
Ce film en couleur adapte une histoire de Samouil Marchak. Le style de dessin est différent de Soyuzmultfilm. Une mère souris a bien du mal à faire dormir sa fille. Elle va alors demander l’aide de différents animaux pour chanter des berceuses : l’oie, la truie, le brochet et la chatte… Aucun n’y arrivera, à l’exception de la chatte, mais la suite de l’histoire racontera pourquoi la souris est une idiote… Elle mériterait bien que son fils y passe. Très agréable à regarder, on remarquera l’éclairage très travaillé ainsi que la superbe animation. Le film n’a pas la morale classique et l’idéalisation qui commence à se dessiner chez Soyuzmultfilm avec ses personnages lisses et exemplaires.
–In the dolls Land (В КУКОЛЬНОЙ СТРАНЕ), 1940, réalisé par George Yelizarov, Vyacheslav Levandovsky, animé par K. Krylov, Maria Benderskaya, Yu. Ryashentseva, K. Nikiforov, conte, PVR, marionnettes, Mosfilm ♥
Voici un conte avec le genre de morale que j’aime. Des jouets sont maltraités par leurs propriétaires : deux enfants du nom de Zina et Kolya. Or, les jouets prennent subitement vie et fuient au Pays des jouets. Les enfants partent à leur poursuite après avoir été changés en jouets par la sorcière Souris. Arrivés au Pays des jouets, les fugitifs demandent justice. Ded Moroz (dans sa version Père Noël) rend le verdict : les coupables sont condamnés à devenir des jouets entre les mains d’enfants afin de subir le même sort qu’ils ont réservé à leurs propres jouets. Ils vont être cognés et noyés par un gamin turbulent. Ils ont compris et demandent pardon. Tout est bien qui finit bien. Le film dure quand même plus de 30 minutes. Le travail sur l’animation des marionnettes est comme toujours superbe. Ces dernières évoluent dans un cadre réel. Il n’y a pas de scènes merveilleuses comme dans La Petite Clef en or, mais le résultat est très agréable.
Table des matières
1.Préambule
2.Introduction
3.Liste films d’animation 1924-1930
4.Liste films d’animation 1931-1935
5.Liste films d’animation 1936-1937
6.Liste films d’animation 1938-1940
1.Alexandre SUMPF, RÉVOLUTIONS RUSSES AU CINÉMA Naissance d’une nation : URSS, 1917-1985, Armand Colin, 2015, p.31