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Alexandre Rou : le conteur du cinéma soviétique

Conclusion

Voilà, j’espère que ce voyage au pays des contes russes vous a plu. Pardonnez-moi pour les quelques films que j’ai dû voir sans sous-titres. De même, les renseignements en français et en anglais sur Alexandre Rou ne sont pas légion. Ne parlant pas le russe, j’ai fait comme je pouvais.

Au final, Alexandre Rou est un peu le père du conte russe au cinéma, celui qui lui a donné l’impulsion et qui y a consacré sa vie. Il ne cessa de mettre en scène les contes du folklore russe, de donner vie à ses personnages. Le cinéma de Rou est avant tout destiné aux enfants, ses contes sont populaires et légers. Néanmoins, pour qui sait y regarder, ils ne sont pas avares de doubles discours, de messages cachés ou encore de satires politiques. Mais ils sont globalement naïfs, à l’image des contes russes dont il s’inspira, baignant dans une lénifiante innocence. Bien que j’aime beaucoup les contes simples, féériques et qui vous replonge en enfance, j’apprécie également les contes plus sombres, plus psychologiques, ceux qui explorent la psyché humaine, bien plus sombre que les abysses sous-marins. C’est pourquoi, je regrette que, parfois, Rou ne se soit pas plus engagé dans cette voie, d’autant qu’il s’est révélé presque meilleur dans cet exercice, en témoignent les scènes de destruction dans Kachtcheï l’immortel et le traitement inquiétant du personnage. En témoigne, l’atmosphère légèrement morbide d’Une nuit de mai, ou une noyée, ou encore le château de la sorcière dans Les Nouvelles aventures du Chat botté… Ou encore la profonde analyse des jeux de pouvoirs et la complaisance humaine dans Au Royaume des miroirs déformants… J’aurais aimé, ne serait-ce qu’un seul film au ton plus solennel, moins facile, plus lyrique, plus triste, à la façon de La Petite Sirène ou d’une Belle et la Bête.

C’est pourquoi, et malgré tout le bien que je pense de Rou, je préfère le travail de Ptouchko, pas forcément meilleur, mais peut-être se prenant plus au sérieux, plus lyrique également. Moins ouvertement léger et comique. Ainsi, Les Voiles écarlates (1961), bien qu’il ne soit pas dans l’univers des contes russes, en reprend pourtant l’atmosphère avec sa fille rêveuse et son héros aventurier en quête de liberté… Mais on ressent une insondable tristesse qui rend le film plus fort.

Alexandre Rou est décédé en 1973, la même année que l’autre magicien du cinéma de conte soviétique : Alexandre Ptouchko, amère coïncidence… Si j’ai fait le choix de faire un dossier sur Rou plutôt que sur Ptouchko dont je préfère les films, c’est pour la simple raison que ce dernier est plus connu. Je préfère les films de Ptouchko, car plus aboutis artistiquement, plus lyriques, solennels, plus inventifs en termes de trucages (rappelons que Ptouchko était marionnettiste, inventeur…) et plus épiques. Mais comme Alexandre Rou me semblait moins connu en dehors des frontières de son (ancien) pays et de l’Europe de l’Est, j’ai tenu a partagé ce que je savais que je tiens moi-même d’autres.

Il y a encore une dizaine d’années, Alexandre Ptouchko n’était connu que d’une poignée de cinéphiles, et peut-être plus grâce à internet qu’aux cinémathèques… Allez savoir pourquoi. Mais depuis un moment, Artus Films a décidé d’exhumer des films de contes des pays de l’Est, j’en profite pour leur dire que j’apprécie beaucoup leur travail. J’espère qu’ils continueront.

Alexandre Rou est mort alors qu’il travaillait sur son prochain film : Finnist – Vaillant faucon, une nouvelle adaptation d’un conte. Il sera réalisé en fin de compte par Guennadi Vassiliev en 1975. Le nom de Rou est crédité comme scénariste. Je n’en ai pas parlé ici, faute de temps et également parce que j’ai tenu à me concentrer sur son vivant. Peut-être l’objet d’un futur article.

J’espère avoir donné envie à quelques personnes de découvrir un autre pan du cinéma soviétique, surtout connu pour ses films de propagande et pour ses géniaux théoriciens du montage tels que Vsevolod Poudovkine, Sergueï Eisenstein, Dziga Vertov, Lev Koulechov… et pour des réalisateurs plus exigeants comme Andreï Tarkovski. Je tenais à élargir la vision commune qu’on a de cette culture en écrivant un dossier sur ce qui est, probablement, l’un des meilleurs réalisateurs de films de conte au monde. Des films d’Alexandre Rou sont sortis au cinéma chez nous à l’époque, il serait bien que l’on ait à présent un distributeur qui mette à disposition du public ces petits trésors. Artus Films si tu m’entends…

J’ai fait, comme à mon habitude, des ponts et des liens avec d’autres cinémas comme les cinémas américains, japonais ou hongkongais. Aussi avec le cinéma d’animation quand j’ai pu.

On ne le dira jamais assez, le cinéma soviétique a considérablement influencé le cinéma mondial. Par exemple, les réalisateurs des années 1920-1930 qui, par leur extraordinnaire technique du montage, prouvent à ceux qui le pensent que le cinéma n’est pas qu’affaire de subjectivité. On peut, dans une certaine mesure, calculer, provoquer, prévoir la réaction et l’émotion déclenchées par une association d’images. Après tout, l’homme n’est pas si compliqué que ça… Dziga Vertov et Sergueï Eisenstein ont ainsi beaucoup influencé le genre du documentaire. Les célèbres films Baraka (1992) et Samsara (2011) de Ron Fricke leur doivent beaucoup.

Le cinéma soviétique a également essaimé dans le domaine de la science-fiction, dont Georges Lucas ou Stanley Kubrick ont reconnu l’influence sur leurs propres travaux. Le réalisateur Pavel Klouchantsev, célèbre pour son film La Planète des tempêtes (1962), a été une source d’inspiration pour les deux Américains. Film qui a été pillé par un certain Roger Corman, encore célébré aujourd’hui… Ce dernier a racheté les droits du film pour le ressortir en 1965 aux États-Unis, remonté et renommé Voyage sur la planète préhistorique, sans plus de respect que cela… Allant même jusqu’a effacer les noms russes des acteurs, même le vrai réalisateur n’était plus crédité ! Vous me croyez pas ? Allez voir la fiche IMDb du film. Mais après tout, le pays d’origine de Pavel Klouchantsev était l’Union soviétique ! Corman avait déjà commis un crime de ce genre avec le film Le Géant de la steppe (1956) d’Alexandre Ptouchko en le rebaptisant Sword and dragon, lui retirant tout son contenu slave.

Nous pouvons également citer l’influence du cinéma d’animation soviétique, l’un des plus productifs et plus riches au monde. Il faut maintenant penser au cinéma de conte, notre sujet. Même Spielberg considère Le Père Frimas comme un film essentiel pour le cinéma américain. Sans parler de l’influence directe de l’histoire et de l’art russe sur Tolkien pour son œuvre et la trilogie du Seigneur des anneaux de Peter Jackson. Arrêtons de ne vouloir retenir de l’URSS que la période stalinienne, les crimes bolchéviques et les films politiques. C’est sûr, c’est plus pratique de se rappeler de ça et de passer le reste sous silence quand on veut en faire un ennemi.

Pourtant, l’URSS n’était pas que ça. Elle était, au tournant des années 1950 et 1960, dans une sorte d’âge d’or cinématographique. Elle célébrait encore avec sincérité son imaginaire, sa culture ancestrale, ses mythes, son paganisme qui définit encore le monde d’aujourd’hui à travers les films de Rou, de Ptouchko et même d’autres. Elle était le foyer de la fantasy et de l’imaginaire. Non seulement par son histoire propre (la Russie est la Terre du Milieu), mais aussi par sa production culturelle. Pendant que nous, à cette même période, nous nous enfoncions dans un cinéma cartésien, froid, auteurisant, qui balaya un héritage culturel et imaginaire pourtant riche et fécond, dont les conséquences sont encore visibles aujourd’hui dans notre cher pays.

Contre toute-attente, l’URSS, ce pays que l’on voyait, que l’on ne voulait voir que par un prisme déformé (comme dans Au Royaume des miroirs déformants), celui de l’ennemi, est devenu un des seuls a réellement célébrer sa culture avec une honnêteté et une naïveté encore palpables aujourd’hui. L’URSS a gardé sa capacité à faire rêver, non pour empêcher sa population de penser à autre chose, mais tout simplement car c’était peut-être l’un des seuls endroits où on était encore un peu libre paradoxalement.

« Le cinéma soviétique tente sans sourciller de préserver les enfants d’un hypothétique conditionnement à venir, qui est celui du capitalisme et du centre commercial dont on ne sort jamais. […] Car on doit savoir à cette époque (années 1950/1960) que le conditionnement à la communiste ne fonctionne plus très bien, hors de quelques pays du tiers-monde épris de propagande anti-impérialiste… On est donc plus libre dans le monde communiste. » C’est ce qu’écrit Nicolas Bonnal dans le livre qui accompagne le Blu-ray du film Le conte du tsar Saltan chez Artus Films.

On peut ne pas partager ce point de vue engagé, toujours est-il que les films de Ptouchko et de Rou ont beaucoup inspiré, sans qu’on le reconnaisse. Comparez-les aux films de Walt Disney, vous verrez qu’ils sont plus sincères, plus critiques même, moins mensongers, et pourtant, ils sont plus naïfs, pourquoi ? Parce qu’ils traitent de leur propre culture, là où les autres l’empruntent, comme Walt Disney à l’Europe. Et surtout, ils n’ont pas d’intention de paganisme, ils sont vraiment païens. Fatalement, si la démarche est plus authentique, elle fera date et sera copiée et reprise maintes fois.

Alexandre Rou et Alexandre Ptouchko n’ont peut-être pas d’équivalents tout simplement.

J’espère vous avoir donné envie de découvrir ce cinéma trop peu mis en avant.

En tout cas, merci d’avoir lu jusqu’au bout, et une chose est sûre, ce n’est que le début 😊.



Tables des matières

1.Introduction
2.Par le vœu du brochet (1938), По щучьему веленью
3.Vassilissa la Belle (1939), Василиса Прекрасная
4.Le Petit cheval bossu (1941), Конек – горбунок
5.Kachtcheï l’immortel (1944), Кащей Бессмертный
6.Une nuit de mai, ou une noyée (1952), Майская ночь, или утопленница
7.Le Mystère d’un lac de montagne (1954), Тайна горного озера
8.Un cadeau précieux (1956), Драгоценный подарок
9.Les Nouvelles aventures du Chat botté (1958), Новые похождения кота в сапогах
10.L’Habile Maria (1959), Марья-Искусница
11.Les Veillées dans un hameau près de Dikanka (1961), Вечера на хуторе близ Диканьки
12.Au Royaume des miroirs déformants (1963), Королевство кривых зеркал
13.Le Père Frimas (1964), Морозко
14.Feu, eau et… tuyaux de cuivre (1968), Огонь, вода и… медные трубы
15.Barbara la fée aux cheveux de soie (1969), Варвара-краса, длинная коса
16.Les Cornes d’or (1972), Золотые рога
17.Conclusion



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