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Alexandre Rou : le conteur du cinéma soviétique


Introduction




Alexandre Rou, un nom qui ne doit pas beaucoup parler au monde, et pourtant… Alexandre Rou (Row, Roou… il y a plusieurs écritures) est un représentant du cinéma soviétique, brrr ! Mais pas n’importe lequel, il est la figure de proue d’un genre marginal et subtilement ignoré chez nous (dans le cas contraire, il faudrait admettre ce qu’on lui doit) : le cinéma de conte et de fantasy.

Alexandre Rou est né à Moscou en 1906 d’un père irlandais et d’une mère d’origine grecque. Il sera assistant réalisateur de Yakov Protazanov au sein du studio Mejrabpomfilm dans les années 1930, avant de diriger enfin son premier film en 1938 : Par le vœu du brochet. Quasiment tous ses films adaptent les contes de la Russie éternelle qui se confondent avec les bylines. Les bylines sont des chants épiques qui narrent les aventures de héros : les bogatyrs, des chevaliers très puissants, incarnations des valeurs russes telles que le courage, l’honnêteté, l’amour de la terre… Le contexte des bylines se situe à l’époque de la Rus’ de Kiev (IXeme-XIIIeme siècles). Les héros des contes se mélangent souvent avec ces guerriers du passé.

Avant d’aller plus loin, il faut quelques recommandations. Le cinéma de Rou est destiné aux enfants, ce qui implique certains choix de mise en scène, comme des personnages qui surjouent ou interprètent leurs personnages d’une façon codifiée. Les films de Rou sont à la fois innocents et naïfs, ils sont en cela fidèles aux contes dont ils sont issus. Le spectateur doit donc prendre en compte ce fait et accepter des facteurs culturels peut-être différents de ceux auxquels il est habitué, il faut se montrer moins sévère. D’autant que ses films sont colorés, tournés en extérieur ou en studio dans des décors très factices pour donner corps à l’irréel, à la Russie des contes et d’antan.

Autre chose encore, les contes russes mettent en avant le bien, des personnages bons, gentils et épris de justice, ils ne sont pas très subtils. C’est cette gentillesse et cette bonté qu’incarnent le héros et son grand sourire, un peu idiot il est vrai. C’est pourquoi, le héros de conte correspond à un archétype : un personnage blond aux yeux bleus habillé d’un éternel sourire. Tel est le héros de contes qu’aiment voir les Russes. Il en va de même pour le personnage féminin principal. Qu’elle soit princesse ou bergère, elle est jeune, belle, innocente, ingénue, travailleuse, et surtout : elle a une voix d’opéra. Vous verrez que ce dernier détail a son importance.

Les héroïnes ne sont pas toujours de simples potiches, même si elles correspondent à des profils : belle, chantante, toujours bien habillée quelle que soit la tâche… Elles sont aussi volontaires, courageuses, défendent leur honneur (comprendre chasteté), prennent une part active à la mort de certains ennemis, quand elles ne sont pas capricieuses et caractérielles. Bien sûr, cela n’est pas toujours le cas, certaines se contentent d’être la Blanche Neige de Disney, mais vous serez quelques fois étonnés…

Au fur et à mesure des films vous verrez des codes se mettre en place. Il en est un particulièrement présent : la célébration de l’âme russe. En effet, les contes véhiculent un très fort sentiment d’appartenance à la sainte terre russe, une fierté millénaire, un amour pour ce sol dont ils sont issus. Les contes sont les réceptacles du paganisme, des valeurs anciennes d’avant l’arrivée du christianisme qu’il a repris à son compte, d’une culture ancestrale… Ils sont les témoins d’une longue histoire, professent une morale bien sûr, mais surtout, sont plus que jamais vivants. Vous verrez beaucoup de plans iconiques qui célèbrent l’amour de la terre. Les bois de bouleaux, extrêmement mis en valeur, témoignent de ce soin particulier accordé à la nature russe et donc au pays.

Si les contes sont si importants en Russie, il y a plusieurs raisons à cela. Ils ont survécu aux différentes époques. Ils incarnent la bonté russe, la foi dans la victoire du bien contre le mal, la renaissance après la guerre contre les nombreux ennemis qui ont envahi la terre russe. L’observation est identique avec le printemps qui succède à l’hiver.


Les contes sont la mémoire collective, la culture, l’éthique, le patrimoine russe. Ils font écho à d’antiques légendes reprises par les contes qui firent leurs apparitions à l’époque de la Rus’ de Kiev, celles d’avant l’avènement du christianisme. Les époques changent, mais la substance, l’âme d’un peuple, elle, ne change pas. Si le christianisme a instauré tout un arsenal de saints et un code moral, les contes, eux, servaient déjà de code moral par leurs histoires et leurs personnages. D’ailleurs, ce n’est pas une surprise si les films pourtant prestigieux des grands pionniers comme Sergueï Eisenstein, Vsevolod Poudovkine ou Dziga Vertov s’effacent devant les contes, alors qu’ils sont considérés en Russie et à l’étranger comme des chefs-d’œuvre… Les époques passent, les contes restent.

Ainsi, Alexandre Rou est, avec Alexandre Ptouchko, le père du cinéma de conte en URSS. Il y eut néanmoins un précurseur : le film Les Noces de l’ours (Медвежья свадьба) réalisé en 1926 par Konstantin Eggert. Mais ce film, très réussi au demeurant, parle plus d’un thème vampirique et érotique (qui témoigne de la richesse du cinéma soviétique des années 1920, pas encore engagé dans la voie du réalisme socialiste), dans une atmosphère gothique à la photographie magnifique. Ce premier film est donc plus une sorte de conte fantastique macabre qu’un conte russe innocent et bienveillant. Puis, en 1938, soit la même année que le premier film de Rou, un film de conte traditionnel vit le jour : Rouslan et Loudmila, courte adaptation du poème éponyme d’Alexandre Pouchkine. Dans ce brouillon, tout est déjà là. Dès lors, la voie est ouverte pour Alexandre Rou et Alexandre Ptouchko.

Alexandre Rou a, au cours de sa longue carrière, essentiellement tourné des films de contes. Toutefois, je dois mentionner quelques détails avant d’aller plus loin. En 1941, il a participé à un film collectif pour soutenir l’effort de guerre soviétique. Ce film s’appelait Combat, recueil cinéma N° 7 (Боевой киносборник № 7). Il s’agissait de 6 court-métrages accolés. Rou réalisa celui dont le titre est Exactly at Seven. Ce film est absent de la fiche du réalisateur sur le site kinoglaz, mais pas sur IMDb. En outre, il a également réalisé deux films en 1949 : La Journée des impressions merveilleuses (День чудесных впечатлений) et Artek (Артек). Il semble s’agir de deux documentaires, mais comme je n’ai trouvé que peu de renseignements et n’ai pu les voir, je les mentionne juste ici car je ne les développerai pas dans le dossier. Par ailleurs, même si j’ai vu son segment de Combat, recueil cinéma N° 7, il n’est pas pertinent d’en parler davantage, tant il ne correspond en rien aux autres films de Rou. Enfin, je n’ai pas pu voir Un petit soulier en cristal (Хрустальный башмачок) réalisé en 1960 qui est un film-ballet adaptant l’histoire de Cendrillon.

Voilà pour cette introduction. J’espère que vous êtes prêts à retourner en enfance. Venez vous émerveiller devant cet extraordinaire héritage que sont les contes russes. Venez rencontrer Baba Yaga et Kachtcheï l’immortel !



Tables des matières

1.Introduction
2.Par le vœu du brochet (1938), По щучьему веленью
3.Vassilissa la Belle (1939), Василиса Прекрасная
4.Le Petit cheval bossu (1941), Конек – горбунок
5.Kachtcheï l’immortel (1944), Кащей Бессмертный
6.Une nuit de mai, ou une noyée (1952), Майская ночь, или утопленница
7.Le Mystère d’un lac de montagne (1954), Тайна горного озера
8.Un cadeau précieux (1956), Драгоценный подарок
9.Les Nouvelles aventures du Chat botté (1958), Новые похождения кота в сапогах
10.L’Habile Maria (1959), Марья-Искусница
11.Les Veillées dans un hameau près de Dikanka (1961), Вечера на хуторе близ Диканьки
12.Au Royaume des miroirs déformants (1963), Королевство кривых зеркал
13.Le Père Frimas (1964), Морозко
14.Feu, eau et… tuyaux de cuivre (1968), Огонь, вода и… медные трубы
15.Barbara la fée aux cheveux de soie (1969), Варвара-краса, длинная коса
16.Les Cornes d’or (1972), Золотые рога
17.Conclusion

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