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Le cinéma d’animation soviétique des débuts de l’URSS à la fin de la Seconde Guerre mondiale : première partie (1924-1930)

Jouets soviétiques (СОВЕТСКИЕ ИГРУШКИ), 1924, réalisé par Dziga Vertov, animé par Alexandre Ivanov, satire politique/agit-prop, papier découpé/dessin animé, Goskino ♥ 

Il s’agit du second film d’animation soviétique, le premier ayant été détruit. Fiodor Khitrouk prétend que ce film a créé un nouveau genre en URSS, ce n’est que partiellement vrai. Déjà, sous l’époque tsariste, Ladislas Starewitch avait également fait des films satiriques qui dénonçaient la guerre, ce n’était pas que du divertissement. Mais il est vrai que Jouets soviétiques va bien plus loin dans la caricature. Le film s’en prend violemment aux capitalistes de la NEP lancée par Lénine. Il critique les bourgeois restés au sein du pays pendant cette période qui appauvrissent la nation en la pillant. Ainsi, un capitaliste devient obèse après avoir absorbé quantité de nourriture. Il symbolise la dépravation et la débauche car il aime en plus la boisson et les femmes. Il est tellement gourmand qu’il finit par en devenir impotent et tombe sur le dos avec le ridicule d’une tortue sur sa carapace. Un ouvrier et un paysan vont s’allier afin de lui faire éclater la panse pour qu’il régurgite tout ce qu’il a avalé. Ils lui percentlittéralement le ventre. Le message est clair : les travailleurs doivent s’allier pour faire rendre gorge aux exploiteurs du peuple. Un humour corrosif à prendre au premier degré. La religion est également ouvertement critiquée. L’animation est soignée et fluide. Avec le recul nécessaire, ce film est très drôle à regarder aujourd’hui.


Ciné-vérité léniniste, 1924, réalisé par Dziga Vertov, agit-prop, papier découpé/dessin animé

Comme évoqué dans l’introduction, Dziga Vertov a réalisé entre 1922 et 1925 une série de films conçuent comme des bandes d’actualités (l’ancêtre de nos journaux télévisés actuels). Ce film-ci dure à peine une minute. Le film évoque la mort de Lénine et la joie du monde capitaliste à cette triste nouvelle. Mais, l’URSS perpétue son héritage. Le film vante alors les pays qui ont reconnu l’URSS comme l’Angleterre ou l’Italie et démontre le nombre toujours croissant d’adhérents au Parti communiste russe. Autant de progrès qui montrent la puissance soviétique en devenir et la crainte que commencent à éprouver les pays occidentaux. Le tout, sur fond de musique proche des cœurs de l’Armée rouge, la grande classe.


Kino-Glaz (Кино-глаз), 1924, Dziga Vertov, koultourfilm/documentaire, film live, Goskino ♥

Ce film est représentatif de la philosophie de Vertov et d’une partie de l’art soviétique de cette période. On recherche le fait, la vérité vraie, expliquée, mise à nue, sans artifice. La caméra doit montrer ce que l’œil humain ne peut voir grâce au montage et au trucage. C’est déjà lui qui utilisait l’animation dans les bandes d’actualités de l’époque pour informer comme avec Ciné-vérité léniniste. Il est donc logique qu’il l’utilise dans ses long-métrages documentaires. Ainsi, Kino-Glaz aborde durant 75 minutes, énormément de thèmes : il explique le fonctionnement d’une radio, apprend à faire un massage cardiaque, montre les progrès de la médecine, parle des coopératives agricoles, du Komsomol (les jeunesses communistes), montre les méfaits du tabac et de l’alcool sur la tuberculose… On est à la frontière entre le film sanitaire, scientifique et documentaire. Il n’y a rien d’étonnant à retrouver dans ce film de courts passages animés. L’animation permet d’expliciter de façon claire et accessible des fonctionnements parfois complexes. Ici, elle est employée deux fois. Une première fois sous forme de silhouettes en papier découpé. C’est une scène dans laquelle un jeune lance un ultimatum à un buveur pour stopper la consommation d’alcool qui aide la tuberculose à détruire l’homme. La seconde utilisation, bien plus courte mais notable, démontre l’intérêt de l’animation pour simplifier une démonstration complexe. On recourt à un schéma et du papier découpé pour expliquer le fonctionnement d’un cristal de réception radio.


La révolution interplanétaire (МЕЖПЛАНЕТНАЯ РЕВОЛЮЦИЯ), 1924, réalisé et animé par Nikolai Khodataev, Zenon Komissarenko, Youry Merkulov, SF/parodie/satire/agit-prop, papier découpé/dessin animé/prise de vue réelle (plus loin abrégé PVR), Mejrabpom/Atelier expérimental national de technique cinématographique ♥

Probablement l’un des films d’animation les plus connus des années 1920. Ce court-métrage inachevé est particulièrement intéressant. Il est considéré comme une parodie du célèbre film Aelita. Pourtant, il faut savoir que les trois créateurs de ce court-métrage avaient auparavant été engagés pour travailler sur les esquisses d’Aelita. Mais Yakov Protazanov, le réalisateur, a refusé l’ajout de séquences animées à un film, déjà par ailleurs expérimental par son esthétique très inspirée du mouvement constructiviste. Au-delà d’une parodie, La révolution interplanétaire peut être vue comme le pendant animé d’Aelita. Et ça tombe bien, car comme son illustre aîné, ce court-métrage, par son esthétique géométrique, rappelle le constructivisme et la volonté de mécanisation de la société. Le prologue est clair sur la démonstration qu’entend opérer l’œuvre : « L’histoire du camarade Kominternov, le guerrier de l’Armée rouge, qui s’envola vers Mars, et anéantit tous les capitalistes de la planète ». Il faut sauver les camarades ouvriers persécutés. En bon sauveur de l’Armée rouge, Kominternov s’envole vers Mars, ce que découvrent alors les capitalistes en lisant la Pravda, le journal officiel du Parti communiste. Dès lors, c’est la débandade : les gros capitalistes fuient sous les lits comme des troupeaux de porcs à moitié nus (quelle dépravation), ils ont peur. Comme d’habitude, ils sont représentés de façon extrêmement caricaturale, ils sont littéralement des vampires qui sucent le sang des ouvriers. Ce film est un des premiers exemples de films de science-fiction utilisés à des fins de propagande dans le monde et même en URSS, où ce genre se développera après la Seconde Guerre mondiale avec la course à l’espace entre les Américains et les Soviétiques. Une autre qualité du film est sa recherche formelle. La typographie reprend par moments les affiches constructivistes de Rodchenko et de Klucis. Certains décors comme l’usine ou la ville futuriste arborent également une forme géométrique. Quant à l’animation, elle est remarquable d’inventivité et on peut considérer ce film comme expérimental.

Youry Merkulov a créé pour ce film et tout au long des années 1920 les stéréotypes pour les caricatures capitalistes et bellicistes. Ses dessins deviendront les modèles pour les décennies suivantes. Pendant la guerre froide, il signera encore des caricatures basées sur celles des années 1920.


La Chine en flammes (КИТАЙ В ОГНЕ), 1925, réalisé et animé par Zenon Komissarenko, Youry Merkulov, Nikolai Khodataev, aidés par Ivan Ivanov-Vano, Olga Khodataeva et les sœurs Brumberg, satire/agit-prop, papier découpé/dessin animé, Atelier expérimental national de technique cinématographique ♥

La Chine en flammes a été réalisé par la même équipe que La révolution interplanétaire. Il s’agit du premier long-métrage d’animation soviétique, avant Le Nouveau Gulliver d’Alexandre Ptouchko en 1935. En effet, à l’époque le film s’étalait sur une pellicule de 1000 mètres et était projeté à 14 images par secondes, il durait 50 minutes. La version actuelle dure environ 33 minutes. Chaque animateur dessinait des sections différentes du film qui étaient ensuite montées ensemble. Le résultat est parfois incohérent. Par contre, le montage demeure intéressant par son alternance entre satire capitaliste et Chine au mode de vie traditionnel qui s’étale dans une ravissante esthétique chinoise. Même si le film est un peu moins expérimental que son prédécesseur, on note tout de même quelques plans inspirés du constructivisme.

Ce moyen/long-métrage met en scène un thème important de la doctrine bolchévique. Le Parti communiste soviétique doit aider les prolétariats des autres pays dans leur lutte contre la bourgeoisie. Les historiens de l’animation considèrent que c’est le premier film dans lequel cette thématique apparaît. Pourtant, on peut considérer d’une certaine manière, que le fait de voler au secours de Mars et de Mercure, alors aux mains des capitalistes dans La révolution interplanétaire est bien une représentation allégorique et spatiale de ce sujet. Ici, la Chine est tiraillée entre les puissances occidentales capitalistes et impérialistes, au premier rang desquelles les États-Unis et le Japon. Ils désirent piller les ressources naturelles du pays. Un autre type d’ennemi typique de la politique soviétique est le koulak, ici représenté par un riche et gros propriétaire terrien chinois qui exploite les petits paysans. Un jour, une inondation noie les terres agricoles et menace de famine le peuple. Les paysans saisissent alors la justice pour avoir gain de cause, mais le koulak corrompt le juge et s’approprie tous les biens des plaignants. La grève est alors décidée. Mais les impérialistes sont méchants et n’hésitent pas à massacrer les grévistes. Alors que les Occidentaux se croient maîtres du pays, l’étoile rouge de Moscou veille et arrive à la rescousse.

Une autre thématique, historique celle-ci et loin d’être fausse, est la représentation de l’ouverture forcée du pays. Les bateaux cernent la Chine et un capitaliste impose à l’empereur le droit d’exploiter le pays. Une résurgence de l’ouverture forcée du Japon par ces mêmes Occidentaux au XIXe siècle… Les missionnaires sont également critiqués comme complices du pouvoir en serviteurs zélés, là pour prêcher l’humilité afin d’éviter toute révolte et empocher de l’argent en retour. Évidemment, le racisme est aussi de la partie.

D’une façon générale, les thèmes abordés ici, entre autres la mise à sac de la Chine, sont présents dans un film autrement plus célèbre de Vsevolod Poudovkine, le très bon Tempête sur l’Asie de 1929. C’est également un thème nationaliste que l’on peut retrouver dans nombre de films en costumes hongkongais comme la célèbre trilogie martiale de Tsui Hark avec Jet Li : Il était une fois en Chine (1991-1993) ou encore dans la géniale kung fu comedy de Jackie Chan et de Liu Chia Liang : Drunken Master II (1994).

Pour une idée bien claire et caricaturale de ce qu’est le koulak dans l’imaginaire soviétique, ne manquez pas le superbe film d’Eisenstein sur les kolkhozes : La Ligne générale (1929). Sa caricature du koulak est mémorable. Par ailleurs, le film demeure remarquable pour son montage lyrique.


-Résultats du XIIème Congrès du Parti (sur la coopération), 1925, réalisateur inconnu, agit-prop, papier découpé, Bureau de production de l’union de Petrograd

Ce film en papier découpé au style simple fait la promotion de la ferme collective. Il appelle à l’union des travailleurs et des paysans pour court-circuiter les négociants qui s’enrichissent sur leur dos. Ce message sur l’union se retrouvait également dans Les jouets soviétiques. Le but des coopératives est d’évincer le capital privé du marché soviétique. Le film Kino-Glaz (1924) de Dziga Vertov évoquait lui aussi les coopératives des villages et encourageait à aller voir les établissements publics plutôt que les privés.


How Murzilka learnt to write correctly the addresses (КАК МУРЗИЛКА НАУЧИЛСЯ ПРАВИЛЬНО ПИСАТЬ АДРЕСА), 1926,Nikolai Khodataev, éducatif, Goskino

Ce film n’a pas survécu. Je le mentionne pour souligner l’emploi du nom Murzilka dans le titre. Ce nom était également présent dans l’intitulé du court-métrage Murzilka in Africa qui était l’un des premiers films d’animation ukrainiens en 1934.

-La Prostituée (Проститутка), 1926, Oleg Frelikh, koultourfilm/fiction, film live, Belgoskino

Le koultourfilm, c’est aussi la lutte contre la prostitution, les droits sociaux des femmes et l’éradication des maladies vénériennes. Dans les années 1920, l’Union soviétique a fait des efforts louables pour éradiquer la prostitution. Ce film bélarusse (l’un des premiers) témoigne de cet objectif. On considérait que les difficultés de la vie et le mode de vie bourgeois-capitaliste étaient responsables de la prostitution. Des tentatives de réinsertion sociale des prostituées ont été entreprises. L’ouverture de dispensaires vénériens témoigne d’une aide apportée aux prostituées et de la lutte contre les maladies. Le film parle d’une femme battue, vendue par sa tante qui devient une prostituée pour survivre. Il évoque les conditions de vie des travailleuses du sexe en Europe, montre le chômage, les orphelinats, l’alcoolisme, les conférences dédiées aux femmes (en cela il fait écho au film d’animation Vavila le Terrible et Tante Arina évoqué plus bas), le viol, la syphilis… L’animation est une nouvelle fois utilisée de façon didactique. Par exemple, sur une carte de l’Europe de 1910 pour montrer le nombre de prostituées dans les villes importantes. Ou encore dans un tableau pour expliquer que le chômage, le manque de domicile et l’alcoolisme sont responsables de la prostitution et dans d’autres diagrammes et tableaux également. Pour voir ce film avec des sous-titres français et en apprendre davantage, c’est ici.


Chor et Chorchor (Армянские Пат и Паташон), 1926, Amo Bek-Nazarov, comédie fantastique, film live, Armenfilm ♥

Je ne m’étalerai pas sur cette comédie loufoque et fantastique arménienne qui fait partie des trésors confidentiels du cinéma soviétique de cette période. Il est à découvrir. Voici le résumé : « Deux maris fainéants et aimant bien boire sont chassés de leurs maisons par leurs femmes respectives. Ils croient voir Satan et un pope doit intervenir pour les désensorceler ». Si je l’évoque, c’est parce qu’il utilise lui aussi l’animation, mais pas pour illustrer des actualités ou des faits : pour faire rire. Un homme soûl, voit ses chaussures et ses vêtements s’animer grâce à la stop motion. Manifestation fantastique ou effet de l’alcool ? Pour plus de renseignements, rendez-vous sur le site de Kinoglaz.

Pour voir le film sur Youtube.


-Nous resterons à l’affût (БУДЕМ ЗОРКИ), 1927, Nikolai Khodataev, agit-prop/caricature, papier découpé/dessin animé/PVR, Mejrabpom/Atelier expérimental national de technique cinématographique

Typique du genre de l’agit-prop, ce film n’a pas vraiment de scénario, il est conçu pour vendre une image du pays. De même que Ciné-vérité léniniste de 1924, le format de ce film est très court, il dure moins de trois minutes. Il est construit comme une bande d’actualité. L’Angleterre, en 1927, commence à s’effrayer de l’industrialisation rapide de l’URSS. Pour montrer leur courroux, les Anglais décident de rompre leurs relations commerciales et diplomatiques avec les « Rouges ». Mais l’économie soviétique est encore balbutiante et malgré tout, il faut que la population achète des bons du trésor comme en temps de guerre. Telle est la vraie raison d’être de ce film, exalter la puissance soviétique naissante et promouvoir le sentiment nationaliste en investissant pour aider le pays. L’Angleterre est représentée comme il sied par une caricature capitaliste, désormais devenue la norme dans ce genre de film. On notera encore un jeu animé intéressant avec la typographie. Lorsque les Soviétiques reçoivent l’ultimatum anglais, ils le déchirent. Les lettres deviennent alors des avions prêts à aller au combat.


Senka the African (СЕНЬКА-АФРИКАНЕЦ), 1927, réalisé et animé par Ivan Ivanov-Vano, Youry Merkulov, Daniil Cherkes, conte/aventure, dessin animé/PVR/papier découpé, Mejrabpom

Ce film augure un tournant de l’animation vers la fin des années 1920. Point de caricature, ou en tous cas pas offensive, ni de propagande quelle qu’elle soit. Senka the African est le premier film explicitement pour enfants de l’URSS. Des films ultérieurs utiliseront l’Afrique autant pour l’aventure que pour la dénonciation de l’exploitation des Africains par les Occidentaux, comme le court métrage ukrainien de 1934 : Murzilka in Africa. Mais ici, il n’y a pas cette volonté, il faut juste divertir. Après avoir visité un zoo, Senka, un jeune garçon, feuillette un livre d’images. Il s’endort et s’envole jusqu’en Afrique. Ses aventures sont plutôt classiques comme un enfant rêvant d’aventures exotiques. Il partira à la rencontre des animaux typiques de la girafe au crocodile. La dernière partie est un peu plus stylisée et caricaturale avec les cannibales. Mais si on parle de caricature des noirs, rappelons que les champions en ce domaine restent les Américains, que ce soit par les films live ou des cartoons bien nauséabonds. Le style est relativement simple et plus rond que les courts-métrages précédents.


-La patinoire (КАТОК), 1927, réalisé par Youry Zheliabuzhsky, animé par Ivan Ivanov-Vano, Daniil Cherkes, comédie/caricature, dessin animé, Mejrabpom ♥

Si ce film est bien plus léger que les agit-prop des années précédentes, il met quand même en scène une caricature. Un petit garçon rentre en catimini dans une patinoire et finit par gagner bien malgré lui, un concours. Mais il est un autre personnage dont le film se moque, certes gentiment (par rapport aux anciens films), c’est le bon vieux gros capitaliste qui s’est enrichi pendant la NEP, une fois de plus. Son ventre l’empêche une nouvelle fois de se relever comme dans Les jouets soviétiques. Toutefois, la caricature reste quand même plus tournée vers l’humour que vers la satire agressive et politique. Le but du film est une comédie divertissante. Le style d’animation en fil de fer et noir et blanc est très simple mais efficace.


Bolvashka’s adventures (ПРИКЛЮЧЕНИЯ БОЛВАШКИ), 1927, réalisé par Youry Zheliabuzhsky, animé par Maria Benderskaya, enfance/fantastique, marionnettes/PVR, Mejrabpom

Ce film, une nouvelle fois réalisé par Youry Zheliabuzhsky, imprime de façon plus nette le virage pris par le cinéma d’animation vers l’enfance. La cible est évidente. Un groupe d’enfants tout sourire visite un musée de pantins, puis se rend ensuite chez un menuisier qui fabrique des marionnettes. La suite, vous la devinez, est une sorte d’adaptation de Pinocchio. L’un des pantins de bois prend vie et vit quelques péripéties bien innocentes comme une altercation avec une souris et un insecte. L’utilisation de la stop motion (notamment d’un insecte) renvoie aux films de Ladislas Starewitch qui manipulait lui aussi de nombreux animaux. Si l’animation est inférieure, le résultat reste appréciable. L’impression de voir un autre monde que celui des premiers films d’animation d’agit-prop est forte, tant les objectifs diffèrent.


One from many (ОДНА ИЗ МНОГИХ), 1927, réalisé par Nikolai Khodataev, animé par Valentina Brumberg, Olga Khodataeva, Zinaida Brumberg, fantastique/burlesque, dessin animé/papier découpé/PVR, Mejrabpom ♥

C’est un petit bijou et un objet unique dans le cinéma d’animation des années 1920. Comme je l’ai évoqué dans l’introduction, la Mejrabpom faisait un cinéma plus commercial en mélangeant innovation, divertissement et message idéologique. Par exemple, Miss Mend (1926) de Boris Barnet faisait explicitement référence aux cinémas français et américains avec son intrigue policière et ses courses poursuites. One from many est unique en son genre par son désir de faire rêver et sa déclaration d’amour sans ambiguïté à Hollywood et ses grandes stars du muet. Ainsi, une jeune fille a au-dessus de son lit les portraits des grandes vedettes hollywoodiennes : Charlie Chaplin, Buster Keaton, Harold Lloyd, Douglas Fairbanks et Mary Pickford. Assoupie, elle se prend à rêver aux grands films américains. Mine de rien, la mise en abime au-delà de l’hommage et de la comédie est intéressante. L’héroïne se retrouve à plonger d’un film à l’autre, enchaînant les aventures rocambolesques aux côtés de ses idoles. Charlot aura maille à partir avec les policiers et Lloyd connait quelques ennuis avec sa voiture. Quant à Keaton, on reconnait directement son film Les Trois Âges (1923) avec sa séquence à la Préhistoire et ses dinosaures et d’autres films connus. Puis, c’est un hommage aux westerns. Et enfin, on verra Fairbanks échappé du Voleur de Bagdad (1924) qui se transforme en Zorro du Masque de Zorro (1920) afin de sauver la belle ! Le tout mené tambour battant.

Pour une fois que les Américains ne servent pas de cible que ce soit pour leur culture ou leur économie capitaliste ! L’occasion de rappeler qu’au grand dam des autorités soviétiques, les films américains marchaient très bien dans la première partie des années 1920 sur le sol socialiste. Les Soviétiques seront d’ailleurs impressionnés la décennie suivante par les films d’animation de Walt Disney qu’ils étudieront. On peut également évoquer le voyage de Douglas Fairbanks et de Mary Pickford en URSS en juillet 1926. Ils seront accueillis justement par le studio de la Mejrabpom, tout est lié. Ils en profiteront pour tourner une scène qui se retrouvera dans la comédie satirique Le baiser de Mary Pickford de 1927. Scène dont on retrouve quelques plans dans One from many ! On notera également, une équipe intégralement féminine pour l’animation.


Vintik-Shpuntic (ВИНТИК-ШПИНТИК), 1927, réalisé par Vladislav Tvardovsky, éducatif/conte fantastique, dessin animé/papier découpé, LENINGRAD FACTORY SOVKINO

On n’est pas très loin du koultourfilm, mais en version dessin animé pour les enfants. Vintik-Shpuntic explique le fonctionnement des machines d’une usine sous une forme simple. En fait, la dynamo et d’autres grosses machines prennent vie. Elle se considèrent comme les « héros » du processus du travail et insultent un petit rouage. Celui-ci part et toute la machinerie s’arrête. Les « héros » se rendent alors compte alors que même les plus petits éléments sont capitaux pour que tout fonctionne. La morale est d’apprendre que c’est ensemble que l’on peut réussir et que l’humilité est une vertu. Sans être véritablement éducatif, le film est plutôt moralisateur et penche vers le conte industriel avec des machines comme personnages. Une illustration du fait que le cinéma d’animation se destine de plus en plus aux enfants par le biais des contes. Plutôt que de vanter un idéal idéologique (bien que cela sera à nouveau le cas pendant les périodes délicates), l’animation va de plus en plus se concentrer sur des valeurs comme la morale, la gentillesse et la vertu.


-An incident at the stadium (СЛУЧАЙ НА СТАДИОНЕ), 1928, réalisé et animé par Alexandre Ptouchko, publicité, marionnettes/PVR, Sovkino

Ce film est intéressant à plus d’un titre. Déjà, parce que c’est le premier film d’animation réalisé par Alexandre Ptouchko. Celui-ci sera plus tard connu pour ses films de fantasy et de contes mettant en scènes les bogatyrs, des chevaliers légendaires du folklore slave. Ensuite, la mise en scène est particulière. On dirait un film signé par Dziga Vertov et Sergei Eisenstein réunis. Le film fait la publicité des premiers jeux olympiques soviétiques. Nous suivons le parcours d’une petite marionnette fort bien animée, à la découverte des différentes disciplines. La réalisation est plus captivante que l’animation. Les angles de prise de vue sont originaux, le montage presque épileptique. Un split screen vers la fin semble vouloir montrer les capacités du cinéma et du caméraman.


Vavila le Terrible et Tante Arina (ГРОЗНЫЙ ВАВИЛА И ТЕТКА АРИНА), 1928, réalisé par Olga Khodataeva, Nikolai Khodataev et animé par Valentina Brumberg, Zinaida Brumberg, koultourfilm/conte fantastique, dessin animé, Mejrabpom

Ce court film fait la promotion des avancées sociales à propos des droits des femmes en Union soviétique. Le 8 mars est la journée de la femme, alors elles ne travaillent pas. Le film se passe dans une campagne traditionnelle, cela se voit aux vêtements. Arina travaille car c’est sa condition depuis toujours. Son mari la bat, ce qui est normal au temps du tsar, mais c’est du passé. Aujourd’hui, le gouvernement envoie des femmes politisées dans les campagnes pour leur apprendre à défendre leurs droits, assister aux meetings, remettre les maris à leurs places… L’éducatif recourt ici à la comédie et au conte fantastique. Même le titre a des allures de conte. En effet, les objets du quotidien seaux, balais… ne supportent pas de la voir travailler et font grève pour qu’elle arrête. Ainsi, même les outils de travail sont avec le pouvoir soviétique, l’inanimé prend vie dans la glorieuse nation de Lénine. De même que pour Vintik-Shpuntic, les objets s’animent. Cela ne manque pas d’humour non plus, puisque les objets se retournent également contre le mari Vavila.


Adventured of little chineses (ПРИКЛЮЧЕНИЯ КИТАЙЧАТ), 1928, réalisé et animé par Maria Benderskaya, propagande/drame, marionnettes/PVR, Mejrabpom ♥

Il serait tentant de rapprocher ce film de La Chine en flammes. En effet, les deux se déroulent en Chine et s’en prennent aux Occidentaux. Toutefois, là où le premier encourageait la collaboration entre les prolétariats du monde entier pour faire tomber le capitalisme, le second met en scène l’URSS comme terre d’accueil pour les enfants opprimés. Le pays soviétique devient une oasis de paix et d’ouverture où l’on traite bien les enfants des colonies. Ainsi, deux petits chinois fuient leur pays car ils sont maltraités par leur maître occidental et meurent de faim, ils prennent alors le bateau pour voir si l’herbe est plus verte ailleurs. Ils arrivent en Afrique où les méchants esclavagistes européens fouettent les pauvres Africains. Ils reprennent alors la mer pour arriver en Amérique capitaliste, mais nouvelle désillusion. Le voyage reprend pour enfin arriver dans une Terre de paix où ils seront accueillis par de gentils pionniers : l’URSS.

Ce film renoue avec une certaine caricature capitaliste, toutefois plus atténuée que les films tels que Révolution interplanétaire. Ici, on insiste surtout sur la violence et le racisme des capitalistes, les visages font moins bêtes assoiffées de sang. On use davantage du drame qui suinte la pellicule à la vue de ces visages enfantins maltraités et du pèlerinage laborieux pour arriver en Terre sainte. L’URSS invite tous les enfants à venir bâtir un monde sans haine où ils seront tous égaux, si seulement…

La fin est semblable à Murzilka in Africa dans lequel deux enfants soviétiques ramenaient un enfant noir en URSS pour le sauver. Le dernier plan est évocateur : des enfants de plusieurs nationalités différentes unis face à un destin commun. Non, vraiment, le message est joli, la réalité… On peut évoquer la comédie musicale Le cirque (1936) réalisé par Grigori Alexandrov. Dans ce long-métrage, une femme blanche qui a accouché d’un enfant noir, quitte les États-Unis poursuivie par une foule en délire prête à la lyncher pour ce scandale en plein pays du racisme. Naturellement, l’URSS, pays où le préjugé racial est absurde, l’accueille comme il se doit. Il n’empêche que ce film est un modèle de propagande. La chanson de fin est un hymne à la tolérance où de multiples nationalités s’expriment dans un même élan de fraternité, c’est très beau.


-Le Petit Samoyède (САМОЕДСКИЙ МАЛЬЧИК), 1928, réalisé et animé par Nikolai Khodataev, Valentina Brumberg, Zinaida Brumberg, Olga Khodataeva, conte/koultourfilm, dessin animé, Sovkino ♥

Si Le Petit Samoyède est considéré comme une des premières grandes réussites du cinéma d’animation soviétique, il y a plusieurs raisons à cela. La première est évidemment pour son esthétique. Comme il met en scène un folklore emprunté aux Nénètses, un peuple du Nord, le film est très stylisé. Mais à bien y regarder, il ne s’agit pas vraiment d’un conte, même s’il s’en pare des apparences. Le film est subtil et riche pour une durée de 7 minutes. Il ne met pas véritablement en scène un conte, au sens de le préserver et de le perpétuer par le cinéma. On est plutôt face à une sorte de « mise en forme “folklorisée” des politiques soviétiques1 » afin de mieux parler à des peuples, disons peu civilisés, qu’il faut éduquer à la soviétisation. J’ai dit plus haut que le cinéma d’animation et le cinéma dans son ensemble étaient vus comme de puissants outils pour « soviétiser » la population. Or, quoi de mieux que de présenter un message habillé dans votre culture pour vous parler ? D’autant que le film a très peu de dialogues.

L’histoire met donc en scène un jeune nénètse au mode de vie traditionnel de pêche et de chasse. Sa communauté vénère un chaman, détenteur d’un savoir obscur et mystique. Or, le cinéma des années 1920 en URSS est dans la recherche du fait vrai, objectif, non de l’imaginaire. Le cinéma doit tout expliquer, d’où les nombreux koultourfilms qui vulgarisaient des faits scientifiques afin de rationaliser la population et l’alphabétiser. Rajoutons que le ton se durcit considérablement à la fin de la décennie envers les croyances religieuses avec des répressions. Il s’avère que le chaman du film est un manipulateur qui fait actionner manuellement une fausse idole pour faire croire qu’il a un quelconque pouvoir sur les esprits. Cela, pour tromper son peuple et lui extorquer ses biens. Le chaman est en réalité un koulak. Un détenteur d’un pouvoir et d’une richesse matérielle rescapé d’un passé lointain, tsariste, qu’il faut éliminer. Le cinéma est « un instrument privilégié de la modernisation et de la lutte contre les croyances du passé que le régime souhaite voir disparaître2. »

Le héros du film, Chu, réussit à déjouer le subterfuge du sorcier. Il quitte ensuite sa contrée sauvage et arriérée pour partir apprendre à la lumière du savoir soviétique au « Collège pour les Peuples du Nord ». Les Nénètses, anciennement les Samoyèdes, représentent ces peuples du Nord que le pouvoir soviétique juge comme étant encore dans l’enfance de l’humanité. Ces peuples doivent rentrer dans la modernité soviétique et renoncer à des coutumes d’autant plus infâmes, qu’elles se retournent contre eux. Avec ce film, le cinéma d’animation remplit totalement sa fonction idéologique. Il est l’outil idéal pour cela.

Ce film est par ailleurs réellement considéré comme une œuvre majeure du cinéma d’animation des années 1920. Il a en outre été sonorisé en 1931 et bénéficia d’une sortie à l’étranger en 1938, ce qui était loin d’être le cas de tous les films à l’époque.

Maintenant, faisons quelques liens avec le cinéma live. Comme on l’a dit, le discours sur les croyances se renforce au crépuscule des années 1920. En 1931, le film Hors du chemin (Хабарда) de Mikhaïl Tchiaoureli montre la lutte de la civilisation menée par les jeunesses communistes pour un avenir meilleur contre les bourgeois qui protègent une vieille église croulante. Cette dernière est en fait un symbole de superstition en même temps qu’un attachement à l’ancien régime. D’autant qu’à cause d’elle, (comme c’est un monument historique on ne peut pas aménager le quartier), tous les habitants pauvres des alentours vivent dans des taudis prêts à s’effondrer. Finalement, l’église finit par être détruite. Mais, ô surprise ! Que découvre-t-on dans ses fondations ? La preuve qu’elle a été fondée par une organisation chrétienne de propagande. La preuve est faite, comme pour Le Petit Samoyède, la religion, qu’elle soit représentée par ses acteurs ou ses bâtiments, est une manipulation qu’il faut éradiquer.

Pour ce qui est de la question d’amener le progrès dans des contrées qui vivent encore au Moyen-Âge, là encore les films ne manquent pas. À ce sujet, voyez le documentaire de Mikhaïl Kalatozov : Le sel de Svanéti (Соль Сванетии) réalisé en 1931. Ou encore Aerograd (Аэроград) réalisé en 1935 par Alexandre Dovjenko qui est particulièrement salé sur les croyances religieuses.


Turksib (Турксиб), 1929, réalisé par Viktor Tourine, documentaire/film live, Vostok-kino

Ce film se rapproche de la tendance documentaire initiée par Dziga Vertov avec La sixième partie du monde (1926) qui montrait l’universalité et les diversités culturelles de l’URSS. On y voyait une foule de peuples différents, ainsi que des images de faune et de flore. Turksib en reprend l’ambiance lyrique et contemplative, tout en se rapprochant de Le sel de Svanéti évoqué au-dessus. Ainsi, le film rapporte le difficile travail du coton dans le lointain Turkestan, et sa vente qui nécessite de traverser un désert avec une caravane de chameaux. Mais il rend également hommage à ces peuples qui vivent encore de manière traditionnelle même s’ils sont archaïques aux yeux des autorités soviétiques. Cela le différencie de certains films français qui posaient un regard condescendant sur leur empire colonial et sa population. Le film exalte les paysages de montagnes et les divers environnements. On célèbre la nature soviétique. Ne nous y trompons pas néanmoins, le but est de montrer comme dans Le Petit Samoyède, que l’URSS peut apporter le progrès à ceux qui vivent comme avant. Cela se concrétisera par la construction d’une voie de chemin de fer de 1445 kilomètres de long à travers le Kazakhstan. L’animation sert encore et toujours à illustrer un projet : ici la géographie des lieux et le tracé de la voie ferrée.

Pour voir le film, c’est sur Youtube.


L’Homme à la caméra (Человек с киноаппаратом), 1929, réalisé par Dziga Vertov, documentaire, film live, VUFKU

On ne peut évidemment pas parler de l’animation dans les films live des années 1920 sans parler du chef d’œuvre documentaire qu’est L’Homme à la caméra. Ce film est la synthèse de toute la philosophie d’un des plus grands théoriciens du montage et du cinéma. Il a inspiré beaucoup de documentaires ultérieurs. Vous trouverez aisément des analyses plus poussées. Je me bornerai à signaler l’utilisation de l’animation en stop motion pour faire bouger des cylindres et pour une caméra qui se met à filmer toute seule.


Ma grand-mère (Моя бабушка), 1929, réalisé par Konstantin Mikaberidze, comédie satirique, film live, Géorgie ♥

C’est un ovni extraordinaire à la créativité sans limite et à l’ambiance de folie. Ma grand-mère fait partie des grands oubliés des films très originaux en URSS qui se sont fait enterrés, tellement ils étaient éloignés des canons de la production cinématographique. Il va très loin dans le mélange des inspirations artistiques et dans les registres. C’est une comédie sur le monde du travail, la bureaucratie et l’administration en particulier. Il fait la synthèse de différents courants artistiques comme l’expressionnisme allemand et le constructivisme. Il est à la fois surréaliste et absurde, usant d’expérimentations visuelles, de déformations et d’animation. L’animation est utilisée de surcroit d’une façon très variée : de la stop motion pour des marionnettes, des dessins de presse qui prennent tout à coup par le dessin animé…

Voici ce qu’on en dit sur Kinoglaz :

Merab Kokocasvili :

«Le film a été tourné en 1929 par un tout jeune homme. Il y a mis toute son âme. C’était la grande période du cinéma muet géorgien. Le film est une satire où se développe déjà cet humour propre aux Géorgiens. Il faut préciser cependant que ce n’est pas un film purement national car Mikaberidze a eu recours à ce qu’il y avait de plus moderne à l’époque : l’expressionisme allemand, le constructivisme, l’avant-garde française, le surréalisme… Notre cinéma a, aujourd’hui, intégré toutes les recherches internationales et ne les transcrit plus de manière aussi visible. A l’époque, le film était tellement direct et féroce qu’on l’a laissé pourrir près de cinquante ans sur une étagère. Brisé, l’auteur n’a réalisé ensuite que quelques films insignifiants. »


Irakli Kvirikadze :

« Mikaberidze hantait tout le temps les studios. Il disait à tous ceux qui voulaient l’écouter qu’il avait fait un film génial mais qu’on ne pouvait pas le voir. Il était si cocasse, il dégageait une ironie si désabusée que personne ne le croyait. Le film fut découvert en 1967 et il devint le fétiche de toute une génération. »


Les aventures de Münchhausen (ПОХОЖДЕНИЯ МЮНХГАУЗЕНА), 1929, réalisé par Daniil Cherkes, animé par Ivan Ivanov-Vano, V. Valerianova, Vladimir Suteyev, Daniil Cherkes, fantastique, dessin animé, Mejrabpom

Faire un film sur le baron de Münchhausen peut paraître assez incroyable en URSS et pourtant… Ce film délirant, comme il est de coutume avec le baron, confirme la nouvelle tendance du cinéma d’animation. Les films pour les enfants côtoient dorénavant les films idéologiques. L’histoire est comique à souhait et n’utilise aucun sous-entendu de quelque genre que ce soit. Ainsi, si vous aimez la chasse au renard surréaliste, les chevaux coupés en deux qui continuent de courir ou le voyage dans la lune, vous êtes au bon endroit. Décidemment, il fait bon vivre en Union soviétique !


-La Poste (ПОЧТА), 1929, Mikhaïl Tsekhanovsky, expérimental, papier découpé/dessin animé, LENINGRAD FACTORY SOVKINO ♥

La Poste a un statut particulier. Il n’est ni un film d’agit-prop comme ont pu l’être les premiers films d’animation soviétiques, ni un film pour enfant, ni même idéologique. Il est tout simplement le premier film d’animation artistique d’Union soviétique. À tel point qu’il a changé la perception du cinéma d’animation en tant que forme d’art. Il a été exporté et montré dans différents pays. L’architecte Frank Lloyd Wright le projeta même à Walt Disney comme exemple à méditer. Il fut en outre, le premier film d’animation colorisé en URSS. Pourquoi tant de succès ?

L’histoire est adaptée d’une œuvre de l’écrivain à destination de la jeunesse Samouil Marchak. Il était très réputé et échappa de peu aux purges staliniennes. Le film raconte le voyage d’une lettre écrite par un enfant qui fera le tour du monde, de l’Union soviétique en passant par l’Allemagne, l’Angleterre et le Brésil. Si ce film est resté célèbre, c’est pour sa synthèse des langages graphiques et cinématographiques des années 1920. Alors que les innovations artistiques vont disparaître au seuil des années 1930 avec l’avènement du réalisme socialiste, La Poste fait un peu office de chant du cygne. Le film s’inspire beaucoup du constructivisme et de sa recherche d’une 4ème dimension. Par le biais d’une profondeur de champ, de procédés de superpositions de niveaux, d’une perspective, de formes géométriques détaillées, de mouvements tournants, d’angles de prise de vue et d’un montage rapide, La Poste s’affiche comme « une synthèse des recherches plastiques et cinématographiques, entre cinéma abstrait, cinéma narratif et cinéma représentatif3. »

Tsekhanovsky sera connu plus tard pour des films de contes plus simples comme La Princesse grenouille (1954) ou Les Cygnes sauvages (1962) plus stylisé.


Bratishkins Adventures (ПРИКЛЮЧЕНИЯ БРАТИШКИНА), 1929-1931, réalisé parA. Barshch, Youry Merkulov, marionnettes/PVR ? GOSVOENKINO

Bratishkins Adventures se voulait le successeur de Bolvashka’s Adventures, décliné sous la forme de la première série animée soviétique. Malheureusement, les films n’ont pas survécu.

The tale about the priest and his worker Balda (СКАЗКА О ПОПЕ И РАБОТНИКЕ ЕГО БАЛДЕ), 1930, Mikhaïl Tsekhanovsky, conte, dessin animé/papier découpé, LENINGRAD FACTORY SOVKINO/Lenfilm ♥

Ce film qui aurait dû être le premier long-métrage soviétique en animation traditionnelle a eu une histoire mouvementée. Tsekhanovsky et sa femme Vera Tsekhanovskaya, travaillaient sur l’adaptation d’un conte de Pouchkine qui se voulait être une sorte d’opéra satirique. Le film était très fortement stylisé, s’inspirant du loubok, l’imagerie populaire russe, remis au goût du jour par les avant-gardes comme le cubo-futurisme. Effectivement le loubok a, dans une certaine mesure, inspiré les affiches ROSTA des années 1920. Les affiches ROSTA regroupent un certain nombre d’affiches de propagande, auxquelles ont contribués Maïakovski et Rodtchenko. Le couple Tsekhanovsky travailla avec Chostakovitch pour la musique. Malheureusement, le film fut accusé de formalisme et resta inachevé. Pire, alors qu’il était stocké à Lenfilm, il fut détruit en 1941 par les bombardements de Leningrad. Il n’en reste que quelques minutes sur Youtube, grâce auxquelles il est possible de s’en faire une idée.

Pour voir quelques extraits du film…

-Our answer to popes (НАШ ОТВЕТ ПАПАМ РИМСКИМ), 1930, réalisé par A. Skripchenko, agit-prop, dessin animé/papier découpé/stop motion/PVR, Mejrabpom ♥

Voici un beau film de propagande qui signe le retour des bonnes vieilles caricatures capitalistes. Ce court film montre que l’URSS ne se laissera pas faire par les puissances impérialistes : France et Japon entre autres. Le film montre les capacités de production industrielles des munitions pour les fusils. Cela, afin de prévenir que l’URSS sera en capacité de faire la guerre à quiconque voudrait nuire à ses intérêts. Le film va jusqu’à montrer des balles vivantes (ont-elles une conscience politique ?) n’hésitant pas aller se battre. Enfin, le dernier plan vaut le coup d’être vu pour sa subtilité : alors que le pape semble manifester son mécontentement, il se prend une casse de munitions qui l’écrabouille au sol. Simple, subtil, efficace. Pour voir le film.


La suite, c’est la semaine prochaine sur les années 1930. À bientôt !

Table des matières

1.Préambule
2.Introduction
3.Liste films d’animation 1924-1930



1.Caroline DAMIENS « Le cinéma d’animation d’agit-prop et le monde enchanté de la modernité : projeter Le Petit Samoyède aux confins du Nord de l’URSS », COLLECTIF, Slovo, 2019, À l’Est de Pixar : le film d’animation russe et soviétique, numéro coordonné par Hélène Mélat, Presses de l’Inalco, p 57.
2.Ibid., p. 50.
3.Serge VERNY « Remarques sur l’espace dans La Poste (1929) de Mikhaïl M. Tsekhanovski », COLLECTIF, Slovo, 2019, À l’Est de Pixar : le film d’animation russe et soviétique, numéro coordonné par Hélène Mélat, Presses de l’Inalco, p. 43.


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