Le Vaisseau du ciel : premier space opera, amour et pacifisme en 1918
Le Vaisseau du ciel ou À 400 millions de lieues de la Terre (Himmelskibet) est l’un des premiers longs-métrages de science-fiction moderne. Il est en tout cas un des premiers films de space opera. Il s’agit d’un film danois réalisé en 1918 par Holger-Madsen. Voici le résumé de l’histoire :
« À l’occasion d’un exploit en avion, le célèbre aventurier Avanti Planetaros découvre non seulement que l’homme peut s’élever très haut, mais qu’il peut aussi découvrir d’autres astres. Avec son ami le Dr Krafft, fiancé a sa sœur Corona, ils décident de construire un appareil, l’Exelcior, qui leur permettra de s’envoler vers Mars. Sous l’égide du professeur Planetaros, père d’Avanti, une équipe est constituée pour les accompagner. Mais avant leur départ, pendant une conférence, un ennemi de l’odyssée se déclare : le professeur Dubius… »
La principale force du Vaisseau du ciel est son message invariablement pacifiste. Tout le film baigne dans une dénonciation du comportement humain et professe un message d’unité. En effet, dès la constitution de l’équipage, l’idée est présente puisqu’un membre de l’Est souhaite intégrer l’équipage, en représentant de la toute jeune URSS.
Cette optique d’un équipage mixte est un topos que l’on reverra souvent par la suite au cinéma. Il est impressionnant de noter, à la vision de ce film, le nombre d’idées présentes qui deviendront des clichés de la science-fiction : voyage vers une autre planète, souci de la crédibilité scientifique du voyage, découverte d’une civilisation, utopie, catastrophe planétaire, union de deux peuples différents…
Le Vaisseau du ciel se situe à mi-chemin entre le cinéma plus délirant et forain des débuts à la Georges Mélies, et La femme sur la lune (1927) de Fritz Lang, un des premiers films de hard science-fiction. Si Le Vaisseau du ciel ne va pas aussi loin dans la crédibilité que le film de Lang, on note tout de même un certain sérieux dans l’approche : on assiste à la construction du vaisseau comme dans le célèbre Aelita – le premier film de science-fiction soviétique par Yakov Protazanov en 1924 –, à une tension psychologique menant à une révolte dans le vaisseau, à une peur du vide stellaire qui n’est pas sans évoquer un autre film d’Europe de l’Est, Ikarie XB-1 réalisé par le Tchèque Jindřich Polák… Par rapport à l’apparence du vaisseau, elle est de son époque : un mélange d’avion, d’aéronef et de dirigeable. On constate que nombre de films ultérieurs peuvent renvoyer au Vaisseau du ciel.
Mais ce qui marque avant tout, c’est son message pacifiste. Il fut réalisé pendant la Première Grande boucherie, dont on ne savait à l’époque quand elle se terminerait.
Or, la découverte de la civilisation martienne va être prétexte à une fable et à une attendue comparaison des deux planètes. Le peuple de Mars est pacifiste, limite vivant dans la béatitude. Il est végétarien, parle une langue universelle, prône la non-violence et vit sereinement en respectant la nature. On peut penser au film La belle verte de Coline Serreau (1996). Ils observent des principes proches d’une vie religieuse. En effet, les évènements importants de la vie sont célébrés avec une grande solennité : l’amour, l’expiation, la mort sont traités avec beaucoup de douceur. J’en veux pour exemple la mort du patriarche de Mars vers la fin du film. Tout se passe le plus calmement du monde. Signe d’une civilisation qui a accepté sa mortalité comme une chose naturelle. Signe aussi d’une conception aigüe de l’univers puisque, pour eux, la mort n’est que le début d’une vie supérieure, démontrant par là une acuité qui nous fait défaut. Le patriarche, sentant sa mort arriver, choisit d’aller au-devant d’elle, boit un verre – de poison ? – et navigue avec joie vers « l’île des morts » qui n’est pas sans rappeler « les Terres Immortelles » de l’univers de J.R.R. Tolkien.
On apprend plus tard que cette paix et cette bienveillance mutuelles ne sont pas nées de rien. Mars a connu par le passé une guerre fratricide qui lui a fait dire « plus jamais ça » et a réussi à s’y tenir, contrairement à nous qui nous sommes remis joyeusement sur la gueule une vingtaine d’années plus tard. Bien évidemment, le parallèle avec la Première Guerre mondiale est évident, pour nous amener à déposer les armes. Un message terriblement naïf et touchant, poétique et si désarmant de sincérité. Surtout lorsque les Terriens commencent à menacer les Martiens avec des armes et que ces derniers les pardonnent par le moyen de la « danse de l’expiation », une sorte de cérémonie grâce à laquelle les tourmentés comprennent eux-mêmes le mal qui les gangrène.
Même dans le jugement, il y a cette bonté surnaturelle, si tranchante avec la méchanceté humaine qui condamne soit à l’isolement, soit à la mort. Point ici de ces moyens expéditifs. Nous sommes dans la seconde chance, le malfaiteur doit lui-même comprendre et progresser, accepter le mal qui est en lui et le faire mourir. Un propos très saint. Autre époque, autre catastrophe, le film La Planète des tempêtes (Планета бурь) réalisé en 1962 par le Russe Pavel Klouchantsev. Ici, des terriens découvraient également une civilisation, mais disparue. La cause était une catastrophe d’ordre nucléaire. On peut noter l’invention d’un passé destructeur pour confronter l’humanité à ses propres démons à l’instar du Vaisseau du ciel.
Cette comparaison de deux civilisations est également un cliché de la SF. On peut le retrouver dans Aelita ou bien encore dans L’Amour en l’an 2000 (Just Imagine) réalisé par David Butler en 1930, sorte de parodie du Metropolis de Fritz Lang. Mais jamais à ce point d’optimisme, de pacifisme et de joie de vivre. Nous touchons ici à une spiritualité rarement atteinte dans un film de SF. Pour une fois, l’utopie est préférée à la dystopie, la poésie aux armes, le pardon et l’expiation à la raison et la froideur. Stop à la boucherie demande le réalisateur. Une des premières tentatives d’utilisation de la SF pour énoncer un problème humain en le délocalisant. Le pire étant que le film a bien marché dans le monde, notamment en URSS et pourtant…
Les méchants sont punis, les Terriens expatriés sur Mars comprennent et assimilent le message et reviennent sur Terre, tels de nouveaux messies. Le chef de l’expédition a ramené la femme qu’il aime, représentante d’un peuple bienheureux. Le couple espère par son union offrir une graine pour une nouvelle génération d’humains supérieurs qui vénérera l’amour. Il est beaucoup question de spiritualité et de religion dans Le Vaisseau du ciel, mais il ne s’agit ni plus ni moins que de l’Amour.
Il y a donc du mélodrame dans ce film qui côtoie un aspect SF et qui l’empêche d’être aussi sec qu’un film de hard science-fiction. Ce message de paix, cette ambiance très chaleureuse et chaste est sublimée par une merveilleuse direction artistique qui sait rendre chaque moment délicieux. Se dégage de cette œuvre une ambiance fortement onirique, signe d’un film en état de grâce. Tout se fait écho, la photographie peint avec justesse les sentiments des personnages et les messages du film. La paix des cœurs et des esprits se fond dans une vision artistique de haute volée, peut-être rarement atteinte à cette époque.
Chef-d’œuvre du pacifisme, Le Vaisseau du ciel est de cette trempe qui fait dire « il y a ce film et les autres ». Faisant écho à Maudite soit la guerre d’Alfred Machin réalisé en 1914, il préfigure aussi ce grand film pacifiste que sera À l’Ouest, rien de nouveau dont accouchera Lewis Milestone en 1930. Il est ce genre d’histoire qui se regarde le cœur serré, nous disant qu’on peut encore y croire. Il est ce film dont on a tant besoin aujourd’hui, pas de super-héros qui sauvent le monde, mais d’êtres humains qui, ensemble, main dans la main, prennent conscience du danger qu’ils représentent pour eux-mêmes. Il est cette œuvre salvatrice qui célèbre l’unité à une époque où notre propre pays – voire le monde – joue la carte de la méfiance de l’autre, de l’intolérance, de la désunion et de la fracture. Il est tout simplement ce que nous n’aurions jamais dû perdre.
Pour avoir un autre avis sur ce film, c’est sur chroniquesterriennes.com
4 commentaires
tadloiducine
Bonjour
Merci pour votre chronique au sujet de ce film danois touchant à Mars (histoire de s’évader un peu de la Terre de 1918…). Je l’ai déjà vu cité sur tel ou tel blog, mais ne l’ai jamais vu.
N’hésitez pas à inscrire ce billet de septembre 2021 pour le « Challenge de la planète Mars » qui court jusqu’au 31 mars 2022!
(s) ta d loi du cine, « squatter » chez dasola
Mamaragan
Merci pour le commentaire et la suggestion. Je m’inscrirai 🙂
Erwelyn
Je viens de voir que tu étais aussi dans le challenge ☺ Tout les chemins mènent à Mars.
Mamaragan
Oui Tadloiducine me l’avait proposé, du coup… 🙂