Chat c’est Paris : film artistique
Des chats, de la musique, Paris, la Belle Époque… non, ce ne sont pas Les Aristochats (1970) des studios Disney, mais bien plus méconnue, la petite pépite d’animation Chat c’est Paris – Gay purr-ee pour le titre original. Ce film est un rejeton particulier de 1962 et fait figure d’ovni cinématographique à une époque où l’animation américaine est nettement dominée par Disney et par un jeune studio naissant, Hanna-Barbera. Chat c’est Paris est une perle d’originalité qui mérite d’être redécouverte, et je vous invite à un petit voyage dans son univers chatoyant et coloré. Ceux qui ont l’habitude de me lire savent que j’aime mettre en avant des films d’animation moins connus, rares ou particuliers tels que Mad Monster Party ou encore Le Secret de Moby Dick. Promis, vous n’aurez pas à le regretter cette fois encore.
Les meilleurs films sont souvent ceux qui mélangent les genres, car au carrefour de sources d’inspirations et de codes variés. Le long-métrage – il dure quand même 1h25 – est produit par l’UPA (United Productions of America) et réalisé par un animateur chevronné : Abe Levitow. Il faut savoir que le studio UPA a d’abord commencé par la production de films de propagande durant la Seconde Guerre mondiale avant d’évoluer vers la création de courts-métrages animés à destination des enfants. J’adore l’ironie de l’histoire.
Ce studio est mondialement connu pour ses séries autour du personnage de Mister Magoo. En effet, les séries Mister Magoo (1960) et The famous adventures of Mister Magoo (1964) sont parmi ses productions les plus célèbres. La spécificité d’UPA est son parti pris pour une animation low cost, à savoir une animation limitée que reprendront les studios Hanna-Barbera. Vous savez, cette animation économique qui réutilise les mêmes plans, qui anime seulement une partie du personnage, use d’un minimum de mouvements et fait usage d’un nombre restreint d’images par seconde ? Le résultat, tout le monde le connaît : Scooby-Doo, Les Pierrafeu, Les Fous du volant… du moins chez Hanna-Barbera. Trop souvent néanmoins, cette animation fut décriée car cheap, voire raide. Elle est pourtant encore utilisée et elle a inspiré également les Japonais comme le studio Mushi Production de Tezuka Osamu.
Mais ce type d’animation dont UPA fut le pionnier possède malgré tout un certain charme, peut-être dû aussi à cette sensation old school et nostalgique qu’elle évoque. Pourtant, elle possède son style propre : peu de contours, une perspective parfois bancale, des aplats de couleurs et surtout une stylisation plus poussée des décors et des éléments du film. En effet, l’absence d’animation fluide est compensée par le choix de caractériser les décors. N’oublions pas que cette technique a aussi vu le jour en opposition à une volonté d’avoir de plus en plus de réalisme dans les films d’animation, ceci afin de conserver la part magique et irréelle si touchante de ce medium. À tel point qu’aujourd’hui, on privilégie parfois plus la technique que l’imagination ou le style, en s’extasiant de la richesse d’une texture ou de la qualité des poils d’un pull dans un film de Pixar. Je vais peut-être m’attirer les foudres des animateurs ou des « artistes » du XXIe siècle, mais je les trouve parfois plus émus par une technique fluide que par une inspiration créatrice. L’informatique est un moyen, non une fin en soi. Je jurerais quelquefois que artiste est devenu synonyme de pure innovation technique. Pour ma part, je préfère parfois des films peut-être plus lents et moins biens animés, mais qui ont une recherche d’originalité, une marque culturelle, qui n’essayent pas de remplir des cases pour faire plaisir à tout le monde – bonjour, XXIe siècle –, un concept qui mélange les genres… Bref, une identité tout simplement. C’est évidemment le cas de Chat c’est Paris.
Comme je l’ai dit, l’animation limitée est effectivement pauvre au niveau souplesse, mais ne manque pas d’un certain charme. Or, Chat c’est Paris peut être considéré dans une certaine mesure comme la perle de ce mouvement du monde des films d’animation. Dans une certaine mesure car, soyons honnêtes, il est quand même mieux animé que les séries et autres films issus de cette tendance. Il est donc produit par UPA qui, pour le coup, a déployé des moyens importants afin de concurrencer les grands noms. En s’associant à la Warner, les producteurs pensaient frapper un grand coup et, sur le papier, ils avaient raison. Qui retrouve-t-on à la création du concept et qui travaillaient justement à la Warner ? Ô, seulement Dorothy et Chuck Jones. Ce dernier est le célébrissime créateur de centaines de cartoons et de personnages phares des années 1950 tels que Bugs Bunny, Daffy Duck, Bip Bip et Vil Coyote… On retrouve à la réalisation Abe Levitow qui a beaucoup travaillé avec Chuck Jones. Il a en outre réalisé en 1962 Le Noël de Mister Magoo, honorable et agréable moyen-métrage adapté de Un chant de Noël de Charles Dickens. Donc, le potentiel est conséquent.
Pourtant, c’est surtout pour son concept que Chat c’est Paris illumine le monde de l’animation comme il aurait dû étinceler les écrans. À la croisée des chemins, Chat c’est Paris est une authentique comédie musicale à la sauce Broadway. Film musical, il est une transposition de Scènes de la vie de bohème, version féline de Henry Murger. Sur la base d’un scénario classique : une jeune chatte prétentieuse – Mewsette – estime que Paris est plus séduisant et digne d’elle que sa campagne profonde peuplée de bouseux. Elle partira donc vers la grande ville pour découvrir que le luxe et le velours cachent bien souvent d’authentiques crapules. Heureusement pour elle, et malheureusement pour lui, son Roméo – Jaune Tom, accompagné de son fidèle Robespierre – vient la délivrer.
À partir d’un canevas classique, l’équipe va bâtir un film d’animation d’une grande originalité. Véritable hommage à un Paris fantasmé, celui du luxe, des artistes, de la ville pétillante, du spectacle – le Moulin Rouge, les Folies Bergères, les Champs-Élysées, la Tour Eiffel…– et de l’amour.
Mais c’est avant tout la vibrante révérence à la peinture qui fait le sel du film. Tous les décors sont stylisés de façon à reprendre des peintres célèbres comme Van Gogh, Monnet ou Matisse.
Encore une fois, un film n’est jamais aussi bon que lorsque sa forme entre en résonance avec le fond. Que serait un hommage à Paris, la Ville lumière, sans évoquer les artistes et leurs peintures ? Chat c’est Paris alterne donc narration classique dans de très beaux décors avec toute une panoplie de chansons qui laissent place à la féerie et à la rêverie. Qui de mieux que Judy Garland – Dorothy dans Le Magicien d’Oz de 1939 – pouvait incarner Mewsette et chanter pour elle ? C’est la classe ultime, pour le seul film d’animation dans lequel elle ait jamais tourné.
Le concept est posé, le résultat le voici :
L’ivresse d’une comédie légère, d’une richesse artistique sans précédent, envolée, drôle, charmante, pétillante. Une musique de haute volée, des doublages convaincants – en particulier le méchant Meowrice – et des dialogues bien sentis font de ce film un petit bijou pour les adorateurs de films hybrides. Autant le film d’animation avait déjà donné dans la musique avec l’artistique Fantasia, autant jamais encore à ce point-là dans la comédie musicale. Pensez donc, le mélange de comédie chantée, de peintures et de fantasy animalière c’est déjà quelque chose en soi, mais en plus si l’on y ajoute un humour cartoonesque, des idées de mise en scène originales, un méchant « chat rismatique », quelques envolées lyriques et surréalistes, on obtient une œuvre unique en son genre.
Le style change même selon les chansons et les personnages. Ainsi, Meowrice aura droit à un traitement plutôt expressionniste pour sa chanson au sommet des toits de Paris.
Le scénario n’est pas non plus en reste. Malgré sa simplicité, il est plus convaincant que Les Aristochats de Disney sorti en 1970. Outre l’idée principale, Les Aristochats reprend plusieurs gags de Chat c’est Paris. Il remplace la musique de Broadway par une atmosphère plus jazzy. Quant à sa dimension artistique, elle est plus sobre. On copie souvent les meilleurs, ou on leur emprunte c’est selon. Les deux films demeurent toutefois différents dans l’absolu, mais ils gagnent à être comparés. Chat c’est Paris n’a vraiment pas eu le succès qu’il aurait mérité. Pourtant, tout était là. Peut-être trop en avance sur son temps. Ah oui, je parlais du scénario…
Simple et efficace résumeraient bien l’ensemble. Mewsette, une fois arrivée à Paris, va suivre des cours ou plutôt une sorte de programme d’éducation façon My Fair Lady (1964) pour en faire une grande femme du monde. Ce qu’elle ne sait pas, c’est le cynisme du scénario. On ne va pas la rendre belle juste pour la gloire ni même pour gagner un pari, mais pour la vendre. L’univers coloré et envoûtant de Paris recèle bien des ombres malsaines, et la petite ingénue de la campagne va comprendre que tout ce qui brille n’est pas or. Que la campagne qu’elle dédaignait tant était inoffensive en comparaison et bienveillante. Une belle leçon sur la thématique du réalisme et de savoir se contenter de ce que l’on a en acceptant sa situation. Le choix d’une comédie musicale n’est d’ailleurs pas que stylistique loin de là.
La comédie musicale présente souvent un univers idéalisé et théâtralisé. Où parfois le rêve prime sur la réalité moins reluisante. On peut imaginer que l’on vend un univers qui sent bon seulement en apparence. De la même façon qu’on préfère choisir une légende plus belle et romantique que sa version plus crue, on préférera chanter les louanges inexistantes d’une réalité qui sent définitivement mauvais. La vie n’est pas une comédie musicale, il faut souvent accepter la réalité avec ses limites, c’est ce qui fait sa beauté. Le rêve apporte indubitablement de la légèreté à notre triste monde, mais il ne faut pas aller jusqu’au mensonge. Or, Mewsette va se jeter à corps perdu dans une réalité qu’elle fantasme en sanglotant toutes griffes dehors. Une belle façon d’utiliser ici la comédie musicale, de lui rendre hommage tout en montrant ses limites par un scénario mine de rien assez critique, sur son opposition réalité/rêve et ville/campagne. En cherchant un peu, on peut même trouver une critique de ces « marqueurs de société » trop souvent associés au politiquement correct de nos jours. Car, Mewsette aime à dire qu’elle est une féline et non une chatte, cela est par trop vulgaire. Je n’épiloguerai pas vainement sur tous les mots et expressions utilisés ces dernières années à des fins de travestissement de la réalité, revendications douteuses et autres maladies culturelles. Le méchant Meowrice est un modèle de cynisme, comme disait son père : « Les racines de l’argent sont parfois aussi parfumées que le fumier. » Une façon très colorée de dire que l’usine à rêve a les pieds dans une décharge. Meowrice va quand même jusqu’à faire du trafic de chats – enfin d’êtres humains quoi.
Mais nous sommes dans un film qui, même s’il peut parfois faire preuve d’un certain sérieux, est avant tout une ode à la rêverie. La belle se fera donc délivrer et tout « chera bien qui fini rat bien ». Nous ne sommes pas dans le dur et hallucinant mais excellent film d’animation Felidae, autre œuvre qui transpose cette fois les codes du film noir dans le cosmos félin.
Vous le savez, comme dans Le fil de la vie, j’aime les œuvres qui vont au bout de leurs idées. C’est déjà un bel hommage à la peinture que de la rendre présente du début à la fin du métrage, mais une scène va encore plus loin et m’a agréablement surpris tant l’idée est intégrée subtilement au scénario. Lorsque Meowrice, le chat félon – mais si jubilatoire –, écrit une lettre à un riche compère américain pour lui dire qu’il a la chatte rêvée pour un mariage – aucun sous-entendu sexuel de ma part –, il se pique d’y joindre plusieurs portraits de la belle. Ces derniers sont, comme il explique, les créations de plusieurs chats peintres qui font fureur à Paris. Meowrice va donc proposer des portraits de Mewsette dans le style de l’art propre aux grands peintres de cette époque, tels Vincent Van Gogh, Paul Gauguin, Edgar Degas, Henry de Toulouse-Lautrec, Claude Monnet, Pablo Picasso, Henri Rousseau… en citant leurs vrais noms et en expliquant pendant quelques secondes leurs « charactéristiques » propres. Une sublime déclaration d’amour à la peinture au travers d’une scène éducative de toute beauté, magnifiquement cohérente avec l’histoire.
Au final, Chat c’est Paris ne trouva pas son public, mais il trouva des studios pour s’inspirer de lui, au premier rang desquels Disney que j’ai déjà cité pour Les Aristochats et peut-être même, soyons-fous pour Mary Poppins (1964). Toutefois, quelques plans évoquent La Belle et le Clochard (1955) des mêmes studios Disney. Comme je disais, on copie souvent les meilleurs 😉
Encore une œuvre en avance sur son temps, et peut-être trop osée artistiquement, qui paya cher son originalité. Elle demeure aujourd’hui un must pour ceux en quête de mélange des genres. En 2022, ce petit film fêtera ses 60 ans. Il serait louable de le ressortir. Il n’a rien perdu de son énergie, il met Paris en valeur et au-delà, une forme de la culture de ce pays qu’est la France. Véritable œuvre d’art où l’on sent le plaisir d’avoir travaillé à sa création, Chat c’est Paris offre une partition sublime et fera merveille auprès des enfants grâce à sa direction artistique virevoltante. Au même niveau qu’un Disney de la grande époque, il se démarque de la concurrence par son incroyable diversité. Ses quelques minutes éducatives sur l’art en font également une œuvre pédagogique intéressante. Il pourrait faire un beau combo avec La passion Van Gogh. Il est – de même que l’était Mad Monster Party – une déclaration d’amour à un genre cinématographique américain, la comédie musicale et toute sa richesse. Il remettrait sur le devant de la scène un studio important, le studio UPA que l’ancienneté et le succès des autres ont éclipsé, alors qu’il a significativement apporté au cinéma d’animation. Les droits d’UPA appartiennent aujourd’hui à Dreamworks, s’ils ont un cœur…
Toujours est-il que Chat c’est Paris est un témoignage important du passé et que tout film enterré injustement devrait être mis sous le feu des projecteurs au moins autant que les récents. Il démontre avec insolence ce qu’est l’originalité, et que si on ne faisait peut-être pas mieux avant, on faisait aussi bien avec moins.
Suite au prochain « chat pitre » 🙂
Pour aller plus loin :
Films d’animation avec des chats :
–Les Aristochats, 1970, réalisé par les studios Disney
–Felidae, 1994, film d’animation allemand de Michael Schaack, attention il est dur
Films d’animation musicaux :
–Fantasia, 1940, réalisé par Walt Disney
–Yellow submarine, 1968, film d’animation américano-britannique réalisé par George Dunning mettant en scène les Beatles dans une ambiance très psychédélique et subversive
Films d’animation sur la peinture :
–La passion Van Gogh, 2017, film d’animation britannico-polonais réalisé par Dorota Kobiela et Hugh Welchman
–Tito et les oiseaux, 2018, film d’animation brésilien réalisé par Gustavo Steinberg et Gabriel Bitar
Un commentaire
Lola
Merci pour cet article très détaillé. C’était un de mes films préférés de mon enfance, je le cherche désespérément en français. Comment avez-vous pu le visionner ?