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Le Pays des jouets de Walt Disney

Le cinéma américain des années 1960 recèle de petites merveilles de divertissement. On peut les citer à la pelle, que ce soient les films de fantasy ou de SF sur lesquels officia Ray Harryhausen comme Jason et les Argonautes (1963), les films de George Pal Les Aventures de Tom Pouce (1958) et Les Merveilleux contes de Grimm (1962). N’oublions pas Mary Poppins (1964) des studios Disney. Autant de réussites dues à la fois au talent de leurs concepteurs qu’à la magie qui émanait de ces films : les effets spéciaux à l’ancienne. La stop motion, le dessin animé, les trucages, les décors en studio, la danse ont fait le beau jour de ces productions qui n’avaient qu’un seul objectif : faire rêver le spectateur en l’emmenant dans de joyeuses contrées à la rencontre de personnages fantastiques et d’univers fascinants. Ce fut une belle période pour le cinéma de genre. Ces films à grand spectacle sont les ancêtres des grosses productions nées vers la fin des années 1970 comme Star Wars et autres sagas de SF ou de fantasy.


Toutefois, ces films sont parmi les plus connus. Si on creuse, on peut dénicher d’autres petites perles. Notamment chez l’ogre Disney. Je vous présente Le Pays des jouets (Babes in Toyland) réalisé par Jack Donohue en 1961 et inédit chez nous. Quelle chance vous avez d’être sur l’Arène d’Airain 😉 ! Cette adaptation de l’opérette homonyme de Victor Herbert est pétillante de vie, de couleurs et de joie. Vous l’aurez noté, ces caractéristiques sont celles de la comédie musicale, genre déjà déclinant depuis un bon moment. Or, ce film à la production chaotique est une sorte de galon d’essai pour le célébrissime Mary Poppins. De la même manière, pourrait-on dire, que la première adaptation de l’opérette avec Laurel et Hardy, Un jour une bergère (1934), fut un brouillon du Magicien d’Oz (1939). Les deux adaptations ont d’ailleurs beaucoup en commun.


Si l’histoire est toute simple, elle n’est assurément pas l’intérêt du film. Jugez plutôt : le méchant du Pays des jouets, Barnaby (un proto Grinch) veut épouser la pâquerette (ou paumée, choisissez) du coin, Mary. Cette dernière est amoureuse de Tom Piper. Du coup, Barnaby se débarrasse du pauvre Tom (quelle horreur). En gros, l’intrigue tourne autour d’une pseudo-amourette et de la fabrication des jouets pour le Père Noël, bien entendu. Là se situe le principal écueil du film : l’inintérêt de l’histoire, même pour un tout-petit. Les thèmes ne sont pas le problème, ils ne sont juste jamais approfondis. Il n’y a presque aucun enjeu, même le méchant n’est pas inquiétant. Quant aux acteurs ou personnages, ils n’ont aucun charisme, aucune épaisseur. Difficile dans ce cas d’avoir la moindre empathie pour eux. Le film a par conséquent essuyé beaucoup de critiques négatives à sa sortie, allant même jusqu’à faire dire à Walt Disney lui-même que « le studio ne sait peut-être pas faire des comédies musicales ». Mais sans doute ne faut-il pas chercher de ce côté-ci l’intérêt du film.


Un mélange entre comédie musicale et conte enfantin est un pari risqué. En effet, déjà que la comédie musicale peut être très sucrée (parfois trop) et le conte pour enfants vite niais, associer les deux reviendrait à faire du Magicien d’Oz (pardon). Mais par contre, quelle claque visuelle et enjouée si c’est réussi, et selon moi le pari est gagné. Le film de 1934 était parfois (vraiment) trop sirupeux. Les personnages joués par Laurel et Hardy étant par moments à la limite du supportable. Deux idiots sympathiques dont parfois la bêtise confinait à la maladie mentale. Restaient quand même de merveilleuses couleurs, des chansons, des costumes, des décors de poupées et une ambiance saturée de guimauve. Ce film parvenait malgré tout à faire naître cette joie de l’enfance devant ce spectacle insupportablement coloré 😊. Colorée, l’adaptation de Disney l’est sans l’ombre d’un doute. Tout est fait en studio. Cependant, le spectacle est plus haut de gamme et le film tout simplement plus réussi.


Que ce soient la rupture du quatrième mur, les danses très variées (mention spéciale pour l’impressionnante danse gitane), les décors artificiels et féériques à souhait, l’adorable petit village, le combat d’épées, le délire Gulliver à Lilliput, le mélange de conte et de science-fiction à la fin, la forêt, l’animation… C’est le paradis du jouet pour Télétubbies (repardon), mais le malsain en moins. Il ne faut pas chercher une profondeur psychologique, ce n’est pas le conte édifiant, c’est le conte bétifiant, mais pour ce spectacle je veux bien redevenir un enfant.



Si le film n’est pas profond, il ne prend pas le spectateur pour un idiot. Le film de Laurel et Hardy était « trop ». Des costumes de partout, bien faits, mal faits… Il n’y avait pas de limites. Mais il avait un mérite cependant, les monstres de Monstreville pouvaient être flippants pour un enfant.


C’est le paradoxe du mignon à outrance : une surenchère peut mener au malsain (les Japonais le savent bien). Toujours est-il que le Barnaby de 1934 était un peu plus inquiétant lui aussi. Celui de 1961 n’est bon qu’à cabotiner, mais il le fait tellement bien. C’est le méchant heureux d’être méchant qui se complaît dans sa nature profonde. Il cabotine, chante ses méfaits, se tape des trips en solo avec une fleur et un jet d’eau, c’est presque surréaliste.


Il fait penser au méchant Fatalitas du film La Grande Course autour du monde (1965) de Blake Edwards, autre excellent divertissement. Barnaby est joué par Ray Bolger qui jouait déjà l’Épouvantail dans Le Magicien d’Oz, le monde est petit, je vous l’avais dit. Qui dit film Disney, dit acteurs Disney. C’est avec beaucoup de plaisir que l’on reconnait Henry Calvin et Gene Sheldon dans les rôles des deux sbires idiots et gentils de Barnaby. L’un est connu pour être l’attachant sergent Garcia de la très connue série Zorro (1957-1961) et l’autre pour jouer Bernardo de la même série. Ils forment un duo efficace et sympathique. Leurs personnages correspondent à ceux joués par Laurel et Hardy, mais en beaucoup plus supportables et moins cons. Ils sont gaffeurs, un peu bêtes, mais juste ce qu’il faut. De méchants ils passeront à gentils, ils ont même droit à une des chansons les plus marquantes du film.




Après tout, nous sommes dans une comédie musicale. Ce n’est pas la première fois que le conte rencontre le genre musical. Dans un autre style, Danny Kaye incarnait Hans Christian Andersen dans Andersen et la danseuse (1954). Ce film narrait une biographie très romancée du célèbre conteur qui était ici un personnage rêveur. Ou encore le superbe film de George Pal : Les Aventures de Tom Pouce (1958). Ce dernier était totalement tourné vers le conte puisqu’il s’agit de l’adaptation de l’histoire homonyme des frères Grimm avec son lot de chansons, séquences animées et ses deux méchants idiots et marrants (encore). Donc, le genre n’est pas nouveau. J’irai même jusqu’à dire que la comédie musicale est parfois proche du conte dans ses histoires et atmosphères. Que vaut le film de Disney face à ces deux références ? Il est en dessous. En tout cas pour l’histoire. Pour les effets spéciaux qui sont le point fort du film, il en sera du goût de chacun, mais la maîtrise de l’animation est quand même supérieure dans le Tom Pouce de George Pal, surtout la stop motion. Il ne faut pas oublier de parler de l’animation, nous parlons de Disney !


Si elle est moins présente et réussie que dans Mary Poppins, elle est néanmoins réjouissante, mais est plutôt utilisée pour relever les effets comiques et trop discrète.


Par contre, il faut quand même noter la séquence en stop motion à la fin du film dans la traditionnelle bataille des jouets contre le méchant.


Sans atteindre encore une fois le niveau des jouets de Tom Pouce, elle est bien emballée, d’autant que ce n’est pas la spécialité du studio aux grandes oreilles. Un petit mot d’ailleurs sur cette histoire d’animation de jouets. Ces petits êtres qui ont tant embelli nos enfances semblent être un mets de choix dès qu’il s’agit d’œuvres destinées à un jeune public. Presque depuis le début du cinéma d’ailleurs.

En effet, on trouve de l’animation de jouets très tôt, comme chez l’Espagnol Segundo de Chomón. Il utilisa les jouets pour un très joli drame, La guerre et le rêve de Momi (1917), dans lequel les figurines de bois se battaient dans une guerre impitoyable. Le film de Disney lorgne vers celui-ci lors de la guerre des jouets à la fin. On peut également citer le travail du réalisateur soviétique Dziga Vertov qui mit en scène des jouets à des fins de propagande dans le non moins réussi Les Jouets soviétiques de 1924. Autre ressemblance et elle n’est pas sans compliments, celle avec le travail du célèbre animateur de marionnettes Ladislas Starewitch qui manipula naturellement des jouets lui aussi. Néanmoins, une ressemblance s’avère plus troublante : une chanson du film Disney chantée par des arbres vivants et enchantés de la forêt d’où on ne revient jamais. S’il faut passer sur le ratage de l’atmosphère inquiétante, ces arbres ne sont pas sans évoquer ceux de l’inquiétant conte de Starewitch : Fleur de fougère (1949). La ressemblance est peut-être fortuite, mais j’ai démontré dans mon dossier sur le réalisateur polonais puis français combien d’œuvres ultérieures à la sienne semblaient comprendre moults éléments fortuits… Toujours est-il que la forêt enchantée de Disney est dans tous les cas réussie et, il est vrai, ajoute (mais alors rien qu’un peu) une légère part de mystère. On le voit, le jouet est un personnage de choix, jusqu’au Toy Story de Pixar.


Au final, les jouets sont fabriqués et les amoureux se marient, fin de l’histoire, ça c’est du résumé ! Il est marrant de constater que la fin du film bascule un chouïa dans la SF. Il est encore marrant de constater que souvent les films grand public recèlent une part de propagande non négligeable et Walt Disney ne fait pas exception, certainement pas lui. Je l’avais déjà évoqué dans l’article sur le Lieutenant Robinson Crusoé, produit par ce même studio.


Au moment où le film amène le spectateur dans le château du fabricant de jouets, suite à une catastrophe, tous les joujoux sont détruits.


Problème, on est mi-octobre et Noël se rapproche. Mais pas de soucis, tonton Disney a la solution : le travail à la chaîne. Merci le fordisme, le taylorisme et le travail des enfants, ah, ce cher ami des enfants qu’était Walt Disney ! Autre détail amusant : le drapeau américain sur les tanks jouets. On rappellera que le Pays des jouets n’existe pas, que viennent donc faire là ces drapeaux ? Comment ne pas penser à l’adaptation de Peter Pan en 1924 dans le film homonyme ? Le changement du drapeau pirate pour le drapeau américain, what ?! Ou encore les mots de Wendy, cette tendre maman des enfants perdus : « Les mamans espèrent que les enfants mourront comme de vrais Américains », what ?! Qu’est-ce que ça venait foutre là ? Bon, ici, cela reste beaucoup plus soft. Mais la question de l’adaptation et de la propagande qu’on y injecte est toujours intéressante, ne serait-ce que pour objecter que les Américains s’en sont bien donnés à cœur joie. Il n’y avait pas que les Soviétiques. Ceci était un détail, mais que je trouvais assez marquant et drôle pour l’évoquer. Comme quoi, on peut tout à fait réaliser une œuvre inoffensive en apparence et flatter l’orgueil américain.


Tout cela contribue à faire du Pays des jouets une œuvre charmante et enthousiasmante. Il ne faut pas chercher le sérieux, l’aventure est bon enfant, trop sirupeuse et colorée, l’histoire d’amour mièvre, mais l’ambiance, les décors (j’adore !), le rythme entraînant sont contagieux. Il faut rouvrir ses yeux d’enfant, après tout se perdre pendant 105 minutes dans un univers coloré, béatement animé de bons sentiments (bon ok un peu trop) ne peut pas faire de mal. Les cyniques, les blasés qui n’aiment pas les œuvres enfantines ont sans doute perdu quelque chose. Pourtant, ce sont ces œuvres qui ont bercé vos enfances et qui ont participé à faire de vous ce que vous êtes. Le rêve n’est pas gratuit, il est essentiel. Ces films sur l’imaginaire ont contribué à l’avènement des grosses productions de divertissement que l’on idolâtre aujourd’hui. Même si Le Pays des jouets est inférieur à d’autres productions Disney, il en a néanmoins l’esprit : il veut soulager du réel. Nous soulager d’un monde aujourd’hui plus manichéen que dans le pire film. Ici, il n’y a peut-être pas de nuances, mais au moins il y a de la bienveillance et le méchant est châtié. Certes, pas aussi férocement que dans les « vrais » contes, mais c’est un début.


Donc, si vous surmontez les décors artificiels, les personnages gentils et balourds, les chansons, les danses, bref tout ce qui fait l’intérêt du film, vous aurez une petite madeleine de Proust. Ne cherchons pas une histoire ou un récit complexe là où il n’y en a pas besoin. Vive la légèreté et le tourbillon, et les personnages couillons ! Par contre, on peut virer les enfants du film ?

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