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Alexandre Rou : le conteur du cinéma soviétique

Les Nouvelles aventures du Chat botté (1958), Новые похождения кота в сапогах

Les Nouvelles aventures du Chat botté (1958) marque le retour attendu du maître au genre du film de conte. Après quelques pellicules éloignées de son terrain de prédilection, avec même un film reniement, ce film amorce la seconde partie de carrière d’Alexandre Rou qui sera uniquement sous le signe du film de conte.

Toutefois, l’inspiration est cette fois assez éloignée des contes russes et de leur atmosphère. En effet, l’artiste adapte une pièce de Sergeï Mikhalkov qui mélange Le Chat botté de Charles Perrault et L’amour des trois oranges de Carlo Gozzi.

Nous sommes davantage en présence d’un film dont la tournure se rapproche des contes occidentaux que des contes russes. En effet, pas de personnages du folklore, pas d’insistance ni de nationalisme, pas d’éloge de la fibre nostalgique d’un temps mythique… Pas de bouleaux, diantre ! Sacrilège ! Pas de héros chantant au regard fier, au menton droit et au sourire d’adolescent, quoique… Enfin si, le héros, faut pas déconner quand même ! Même si pour ma part, j’ai moins accroché à ce film-ci, il demeure toutefois une réussite de plus à mettre à l’actif du conteur Alexandre Rou.



Au-delà du contexte différent des quatre premiers films de Rou, ce qui étonne le plus, ce sont les décors. Ces derniers sont bien plus chargés que pour les précédents films. Châteaux de contes de fées, soldats en costumes, courtisans… Ils tirent notamment sur Les Aventures d’Alice au pays des merveilles.



Le début du film se permet une introduction relativement subtile. Nous sommes en Russie, dans la chambre d’une jeune fille malade que ses amis viennent voir afin de répéter une pièce de théâtre. Elle finit par s’endormir et se réveille dans le monde de la pièce. Les personnes du réel deviennent ainsi les personnages du conte, il y a une identification plutôt claire… La jeune fille devient la princesse souffrante de l’histoire, l’acariâtre voisine et son compagnon deviennent les méchants intrigants et ainsi de suite.

L’intrigue repose sur la princesse du Royaume des échecs, une jeune fille souffrante et clouée au lit depuis des années. Le roi, désespéré, offre la moitié de son royaume et la main de sa fille, Liouba, à la bonne âme qui parviendra à la sauver. Bien que souvent en larmes, la demoiselle n’a rien à voir avec l’odieuse princesse de Par le vœu du brochet, plus que capricieuse. Ici, Liouba est réellement souffrante d’un mal inconnu, à moins qu’elle ne soit finalement hypocondriaque ? La force de Rou est de proposer par moments, et ce malgré la tendance enfantine et comique de ses films, des réflexions plus adultes. Liouba est en effet un enjeu important pour les deux méchants : le ministre Krivello et sa compagne Dvuliche qui ont mis au point une machination plutôt compliquée dans un but lui très simple, la tuer pour s’emparer du trône. L’idée est de la tuer par la dépression et la tristesse. Elle est en effet coincée entre un médecin qui voudrait qu’elle rie, qu’elle vive au grand air, et l’expertise de Krivello qui convainc le roi qu’elle est mieux dans une chambre aux volets clos. Il l’abreuve de toute sorte de médicaments, la cloître dans une atmosphère malsaine et plus que tout, lui fait lire des contes morbides. Idée originale, d’autant que le contenu de ces histoires, que l’infâme écrit lui-même, est particulièrement violent. Jugez plutôt : « L’horrible monstre terrifiant saisit le malheureux enfant. Impitoyablement, il commença à le frapper et tenta de l’étouffer et de le noyer. Les moustiques du marais le piquaient. Les fourmis aussi l’attaquaient. Des chiens enragés le harcelaient, et des écrevisses pourries… en guise de dîner. » Ces histoires sont lues par un émouvant Gueorgui Milliar qui incarne ici un bouffon sensible et enclin à la tristesse.

Mais ces histoires en disent aussi sur la conception que Rou se faisait des contes. Les récits écrits par Krivello n’ont rien de contes. Certes, ceux-ci peuvent parfois être assez cruels, mais cela n’est pas gratuit. Rou veut montrer l’effet dangereux d’histoires créées uniquement dans le dessein de la cruauté pure et gratuite. Le conte se veut édifiant et avant tout, bon. Des histoires tellement violentes qu’elles ont pour but de vous pousser au suicide n’ont pas leur place dans le cœur des hommes. Le contraste avec l’ambiance légère et enfantine est marquant. Quoi qu’il en soit, les méchants, ici membres de la cour et donc personnalités politiques, sont bien caricaturés et ridicules dans leur accoutrement. On retrouve le goût marqué de Rou pour la satire des puissants et leur moquerie. Par exemple, le maquillage de Dvuliche m’évoque rien de moins que la célèbre drag queen Divine, l’héroïne sale de nombre de films de l’icône du cinéma trash américain : John Waters, le seul l’unique. Pour parachever le tout, Rou simplifie à outrance la guerre pour la confiner à l’absurde : la mégère veut abolir le Royaume des échecs pour le remplacer par le Royaume des cartes. Une mise en scène que l’on retrouve dans Zu, les guerriers de la montagne magique (1983) de Tsui Hark qui voit le camp des rouges affronter le camp des bleus, confinant la guerre à sa seule raison d’être : deux camps opposés. Krivello n’est pas en reste de ridicule entre sa nudité forcée après s’être fait voler ses vêtements et le rhume qui s’en suivit.



Mais c’est sans compter sur le Chat botté et son maître le Marquis de Karabas. Bon, ici soyons honnêtes, le vrai héros est bien sûr le Chat comme dans le conte de Perrault, non son maître idiot au sourire béat comme nombre de ses confrères héros des contes russes. C’est le Chat qui informe son maître de l’offre du roi pour guérir sa fille. C’est encore lui qui mangera la méchante sorcière à la fin du métrage… Alors, deux mots sur le choix du Chat, pour moi, le point faible du film. Ce personnage alterne entre un vrai Chat et une actrice pour les parties où il se transforme en humain. Maria Barabanova se charge du rôle, elle qui avait déjà un petit rôle dans Vassilissa la Belle et qu’on retrouvera dans quelques films de contes des années 1970. Je n’ai rien à redire sur le choix de l’actrice au regard espiègle qui donne plutôt bien le change dans le rôle du Chat humain. Non, c’est le choix de représentation que je déplore. Je n’ai pas de sensibilité envers les animaux sous trait humain. Les acteurs sont obligés de porter des caractéristiques spécifiques, ici une queue poilue et des moustaches, et surtout doivent jouer exagérément. J’aime pourtant le surjeu, mais dès lors que cela porte sur un animal, je trouve cela malsain. Cela passait dans le film live Du vent dans les saules (1996) de Terry Jones qui adaptait le roman Le vent dans les saules. Cela passait car le propos était critique et parfois plus sombre. Ici, déjà que les décors sont plus chargés, que l’ambiance se rapproche par moments du surréalisme de Les Aventures d’Alice au pays des merveilles, que l’atmosphère trop sucrée peut se comparer au Magicien d’Oz ou au film Le Pays des jouets (1961) produit par Disney, c’est trop…

Le film est déjà riche de décors grandiloquents et sucrés, certes jolis. Alors le choix d’une actrice qui fait des grimaces a le don de me hérisser les poils. J’aurais encore préféré un costume de Chat géant, peut-être plus kitsch, mais qui éviterait de voir un visage en perpétuelle mutation entre un chat et un humain, le mélange a quelque chose de gênant…



Au-delà de cette considération toute personnelle, le Chat et son maître vont tout faire pour soigner la belle. Première étape, déchirer le livre d’histoires horrifiques et ouvrir les rideaux. Une thérapie qui ne manquera pas d’évoquer le film Doctor jack (1922) dans lequel Harold Lloyd incarnait un jeune et sensible médecin qui était opposé à un autre qui s’ingéniait à cloîtrer une jeune femme dans une atmosphère morbide… L’analogie est transparente. D’autant que le marquis de Karabas au sourire toujours idiot colle parfaitement aux personnages timides et maladroits qu’a si souvent interprétés Lloyd.

Voyant que la princesse, sous l’action conjuguée du Chat et du héros se porte de mieux en mieux, les méchants vont abattre leur dernière carte, c’est le cas de le dire 😊.

Ils invitent la tante de Dvuliche, la Dame de pique, une sorcière entre Baba Yaga et Maléfique de La Belle au bois dormant. Sorcière incarnée fatalement par Milliar, décidément à l’aise dans ce genre de rôle. L’acteur accomplit la prouesse de jouer deux rôles diamétralement opposés. Les deux méchants invitent la sorcière à se faire passer pour une magicienne afin qu’elle infiltre le carnaval organisé par le roi, marquant le rétablissement de sa fille. Après quelques numéros pour épater la galerie, la Dame de pique met bas les masques et à grand renfort d’orages et de tempêtes, kidnappe la pauvre enfant.

Louvia est désormais aux mains de Milliar qui en fait une Cendrillon. Nous commençons la dernière partie du film, la plus proche des contes russes : le sauvetage de la princesse. Le château de la sorcière est pour moi le plus beau décor du film, en tous cas le mieux mis en valeur, bien loin du sucré château du royaume des échecs. Les contrastes et les couleurs caractérisent à merveille le repère du mal. C’est dans ce genre de scène que l’on voit que Rou est capable de finesse artistique. Les décors combinés à la photographie évoquent les concurrents américains : les grands films fantastiques américains des années 1950/1960 : Le septième voyage de Sinbad (1958) sur lequel officièrent Nathan Juran et le célèbre Harry Harryhausen. Mais aussi le très sympathique Jack le tueur de géant (1962) du même Nathan Juran. On en vient presque à regretter que les films de Rou soient aussi ouvertement destinés aux enfants, tant il semble exceller à filmer les méchants et leur domaine. L’exemple le plus frappant est certainement le traitement de Kachtcheï et de son armée dans le film de 1945.



L’affrontement final ne sera pas un traditionnel combat de bogatyr russe contre le méchant iconique, mais bien l’astuce du Chat botté qui consistera à éprouver les talents de transformistes de la sorcière. Une fois celle-ci métamorphosée en souris, il n’aura plus qu’à en faire son repas. La princesse est délivrée, le héros la marie et prend possession du royaume. La fin était courue d’avance.

Ce film constitue donc une incursion dans le conte occidental plus sucré, plus enfantin qui met de côté le traitement classique des contes russes. Comme je le disais, le héros, bien que proche des héros russes par son sourire un peu simplet, n’incarne pas les valeurs de bonté, de patriotisme et de chevalerie qu’incarnent habituellement les guerriers russes. Ce rôle sera même plutôt dévolu au Chat botté. On peut même aller plus loin : le héros est cette fois pluriel, le Chat et le marquis étant finalement deux faces d’une même entité. Entre le nouveau type de héros, le plan machiavélique des méchants, l’interprétation double des contes (les sains et les malsains), le monde coloré opposé au territoire montagneux et désertique de la sorcière, le film de Rou, de prime abord simple, joue sur les oppositions et les combinaisons pour proposer plusieurs niveaux de lecture.

Un mot encore sur quelques codes que j’avais évoqués précédemment dans les autres films. Cette fois, les héros ne chantent pas vraiment dès leur apparition, mis à part le Chat. Alors que les héros et les princesses des premiers films de Rou se mettaient à chanter quasiment dès leur arrivée, ce topos se fait ici moins présent. De même pour la seconde caractéristique qui les accompagne souvent : la belle et glorieuse nature russe. Si elle est toujours présente, elle se fait plus discrète, remplacée par les somptueux décors qui parsèment le film. On voit bien de belles étendues d’eaux, des levers de soleil, quelques écureuils et des cygnes, tous deux animaux assez présents dans les films de contes russes.







On notera également quelques belles réalisations artistiques comme le fort joli matte painting du château des échecs qui nous rappelle les plus beaux exemples des films américains des années 1950-1960 avec leurs superbes décors en studio comme Le Bouffon du roi avec Danny Kaye (1955). On remarquera également le beau rossignol mécanique qui évoquera les jolies marionnettes mécanisées d’écureuils dans les films Le Géant de la steppe et Le tsar Saltan de Ptouchko ou encore quelques idées du film Le Voleur de Bagdad (1940).



La fiche du film sur kinoglaz : https://www.kinoglaz.fr/index.php?page=fiche_film&lang=fr&num=2083



Tables des matières

1.Introduction
2.Par le vœu du brochet (1938), По щучьему веленью
3.Vassilissa la Belle (1939), Василиса Прекрасная
4.Le Petit cheval bossu (1941), Конек – горбунок
5.Kachtcheï l’immortel (1944), Кащей Бессмертный
6.Une nuit de mai, ou une noyée (1952), Майская ночь, или утопленница
7.Le Mystère d’un lac de montagne (1954), Тайна горного озера
8.Un cadeau précieux (1956), Драгоценный подарок
9.Les Nouvelles aventures du Chat botté (1958), Новые похождения кота в сапогах
10.L’Habile Maria (1959), Марья-Искусница
11.Les Veillées dans un hameau près de Dikanka (1961), Вечера на хуторе близ Диканьки
12.Au Royaume des miroirs déformants (1963), Королевство кривых зеркал
13.Le Père Frimas (1964), Морозко
14.Feu, eau et… tuyaux de cuivre (1968), Огонь, вода и… медные трубы
15.Barbara la fée aux cheveux de soie (1969), Варвара-краса, длинная коса
16.Les Cornes d’or (1972), Золотые рога
17.Conclusion

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